Devant le silence assourdissant et complice des pouvoirs publics et des institutions, devant la violence quotidienne que vivent les personnes trans, intersexes, racisées, travailleurSEs du sexe, handies, grosses, séropositives.
Voici notre constat : l’État nous assassine.
–Act Up Paris & le FLIRT–
L’article de la semaine dernière était dédié à l’étude des chiffres partagés par Transrespect vs Transphobia à l’occasion de la Journée du Souvenir Trans de 2021. Comme nous l’avons vu, d’après les données récoltées par cette initiative, les personnes trans ne sont pas plus à risque d’être tuées que la population moyenne. Mes calculs ont été faits pour la France, mais Feminist Witch Memes a réalisé un document complet qui analyse la situation plus en profondeur. Son analyse couvre la France et les États-Unis.
Maintenant que les calculs ont été faits, la deuxième étape est d’analyser la communication autour de ces chiffre. J’ai encore une fois décidé de me concentrer sur la France, par souci de simplicité et de cohérence. Cependant, dans le but d’avoir plus de données à analyser, je mentionnerai des éléments provenant d’autres pays.
Cet article est donc dédié au traitement de la Journée du Souvenir Trans en France pour 2021. Les publications récupérées proviennent majoritairement d’Instagram, car c’est le seul média social que j’utilise. Je suis consciente que cela limite mon analyse, aussi, si vous avez des exemples d’autres publications, n’hésitez pas à me les envoyer ! Mon but est de démontrer que la présentation des informations est souvent malhonnête, volontairement incomplète voir carrément mensongère dans le but de créer de la peur et un sentiment d’insécurité.
Je vais ici parler de meurtres, et j’en ferai une analyse sociale et politique. Je vais aussi remettre en question plusieurs affirmations de l’activisme transgenre qui traitement de la vulnérabilité de la communauté trans. Et comme pour le dernier article, je vais me concentrer sur les meurtres, qui sont le sujet de la Journée du Souvenir Trans. Un autre article sera sans doute dédié aux autres formes de violence subies par les personnes trans.
La transphobie tue !
C’est en tout cas le message qu’envoient la majorité des publications sur lesquelles je suis tombée en faisant mes recherches. Loin de moi l’idée de prétendre que les personnes trans ne vivent pas de discrimination. Cependant il y a un pas entre « vivre des discriminations » et « risquer la mort » en raison de son identité.
Il y a un sentiment de panique constant qui est entretenu chaque année à l’occasion de la TDoR. Le terme « épidémie » a été utilisé en 2018, 2019 et 2020 pour qualifier la gravité de la situation : L’année dernière Gina Duncan parlait d’une pandémie de tuerie à l’encontre des Américains transgenres[2]. En 2019 le New York Times publiait un article intitulé « Les 18 meurtres de personnes trans cette année font monter la crainte d’une épidémie[3]« . Et en 2018 la Human Right Campagn publiait la ressource « Une épidémie nationale : La violence anti-trans fatale en Amérique en 2018[4]« . Chaque fois, le nombre réel de meurtres ne permettait pas de valider ces affirmations.
En France, Act Up-Paris a choisi « Trans : l’état nous assassine ! » comme slogan pour la TDoR de cette année. C’est ce slogan qui a été utilisé sur la banderole du cortège de Paris.
En 2015, Garnet Coleman disait que les personnes trans ont une chance sur 12 d’être tuées aux États-Unis[5]. En 2012, l’affirmation comme quoi l’espérance de vie moyenne des personnes trans serait de 30 ans[6] circulait aux États-Unis, sans qu’aucune source pour ce chiffre n’ait été identifiée. Ces deux affirmations sont fausses, mais elles continuent d’être utilisées quand on parle de la vulnérabilité des personnes trans. Et bien qu’elles aient été débunkées, on peut toujours tomber dessus en lisant des articles sur le sujet.
« La transphobie tue ! » est le slogan le plus utilisé cette année pour la Journée du Souvenir Trans. Je l’ai trouvé comme titre d’article sur des sites comme Révolution Permanente[7], Fédération LGBTI+[8], et L’anticapitaliste[9], que je vous invite à lire. Il est utilisé dans le corps de beaucoup d’articles (Strasbourg Furieuse[10], Têtu[11]…). C’est aussi le slogan trouvé sur la première image de la plupart des publications françaises cette année. Voici quelques exemples trouvés sur Instagram :
Or, comme expliqué par Feminist Witch Memes dans son document d’analyse des meurtres de personnes trans cette année en France et aux États-Unis, les données actuelles ne permettent pas de valider l’affirmation selon laquelle « la transphobie tue ». Pour valider cette hypothèse, il faudrait que les personnes trans soient victimes de meurtre à un taux plus élevé que les personnes non-trans de la même démographie. Et en l’absence de telles données, il faudrait connaître les motivations derrière les meurtres afin de voir s’il existe une motivation anti-trans de la part des meurtriers.
A l’heure actuelle, nous n’avons pas ces informations. Cela ne veut pas dire que les personnes trans ne vivent pas de violence et ne sont pas tuées, au passage. Mais cela qui n’empêche pas les associations trans d’affirmer que les personnes trans sont tuées par une violence systématique, ou que chaque meurtre est à motivation anti-trans.
Mauvaise représentation des données
Un problème chronique que j’ai rencontré en cherchant des publications sur la TDoR 2021, c’est une utilisation malhonnête des données disponibles, ou une formulation volontairement trompeuse.
La publication du compte @lecoindeslgbt sur Instagram citait le chiffre de 375 sans préciser qu’il s’agit du nombre de meurtre à l’échelle mondiale et non en France. Plusieurs personnes ont demandé des précisions à ce sujet dans les commentaires, sans recevoir de réponse du compte ayant posté l’information. Toutes les personnes ayant apporté des précisions étaient extérieures au compte.
Certaines publications utilisaient des formulations ambiguës pour pousser l’opinion dans un sens, comme la publication de @morgan.noam qui affirme que « les crimes transphobes ont augmenté de plus de 7% ». Le chiffre est correcte, mais ce sont les meurtres qui ont augmenté, pas les « crimes transphobes », et l’augmentation est de 7%, pas « plus de 7% ». Cela laisse penser que la haine anti-trans partout dans le monde est en augmentation. C’est peut-être le cas, mais actuellement aucune étude ne permet de le vérifier, c’est une utilisation malhonnête des chiffres avancés par Transrespect vs Transphobia.
Systématiquement, les publications mettaient dans la même catégorie les 3 victimes de meurtres et les 5 personnes qui se sont suicidées, le plus souvent sans faire la différence. Or, ces deux types de données sont incomparables. Si le taux de suicide peut effectivement avoir son importance pour alerter sur la santé mentale des personnes trans, un suicide n’est pas un meurtre. Les deux sont pourtant systématiquement comparés. J’ai remarqué que les suicides sont considérés comme des meurtres perpétrés par la société, l’État, ou les Terfs, au choix. Ces chiffres sont mis à côté de la valeur de 375 meurtre sur l’année, alors que les deux chiffres n’ont pas la même source (TMM[12] pour le premier, TLM[13] pour le deuxième).
Un autre écueil fréquent est l’utilisation de termes comme « assassinées » ou « victimes de transphobie » pour parler des victimes de meurtre. Ces deux expressions renvoient au motif du meurtre, qui est une information qui manque presque systématiquement dans les rapports. En France, il n’y a pas eu de cas rapporté d’assassinat (qui est un meurtre prémédité) ou de meurtre revendiqué comme ayant un motif anti-trans. Affirmer que ces meurtres sont dus à de la transphobie, c’est entrer sur un territoire glissant, car il n’y a aucune preuve que ce soit le cas, pas en France et pas cette année en tout cas. Et pour autant, c’est ce qui est systématiquement affirmé.
Et c’est qu’à mes yeux, on sort de la commémoration et des revendications contre les violences pour entrer dans la désinformation pure et simple. Certaines de ces publications se sont clairement reposées sur des informations publiées par d’autres, sans vérifier les sources. Mais c’est comme ça que les fake news se répandent, et qu’un sentiment d’insécurité et de danger s’entretient chez les personnes trans.
Pour être claire, il arrive effectivement que des personnes trans, le plus souvent des hommes trans-identifiés, soient tuées en raison de leur identité trans. Mais ces meurtres sont heureusement rares. C’est le cas de certains des meurtres enregistrés aux États-Unis. En revanche, en France, on n’a pas de données sur de telles motivations, et si c’était explicitement le cas je pense que les associations trans en parleraient énormément, et à raison.
Appropriation des meurtres
Le point que je voulais absolument aborder dans cet article, c’est l’appropriation de ces meurtres à des fins politiques. Car énumérer toutes ces personnes mortes, au-delà du devoir de mémoire, sert un but : présenter la communauté trans comme vulnérable et dans l’urgence. Ceci ayant pour objectif de pousser des décisions politiques au nom de la sécurité des personnes trans.
Je n’aurai rien contre ça si, premièrement, les personnes trans étaient véritablement en danger à cause de leur identité trans et, deuxièmement, si leurs « droits » n’entraient pas en conflit directes avec ceux des femmes et des enfants. Ainsi, un des arguments présentés pour autoriser les hommes trans-identifiés à être transférés en prison de femme est qu’ils seraient en danger dans les prisons d’hommes. Le même argument est utilisé pour tous les lieux où les femmes sont vulnérables : toilettes, vestiaires.
Seulement, comme le rappelle très TvT dans son rapport chaque année, une majorité des personnes trans tuées sont précaires, noires, prostituées, et mâles. Tous ces éléments jouent un rôle dans les meurtres, puisque par exemple les hommes sont plus victimes de meurtre que les femmes en moyenne. Et les personnes prostituées sont plus susceptibles de se faire tuer que la population générale. De même pour les personnes précaires. La démographie trans est donc cohérente avec le reste de la population de ce point de vue.
Un homme trans-identifié avait parlé de ce problème en 2015 dans un article intitulé « L’appropriation des meurtres de femmes trans et hispaniques par des femmes trans blanches et des opportunistes politiques[14]« . Dans cet article, il explique penser que ce n’est pas la transphobie qui tue la majorité des personnes trans mais le racisme, le classisme et la misogynie. Et qu’en se concentrant uniquement sur la transphobie, les associations trans effacent les problèmes urgents de la population trans qui se fait tuer.
En France, les personnes trans qui se font tuer sont des hommes qui s’identifient comme des femmes, et beaucoup se prostituent. Cette démographie est à garder à l’esprit lorsqu’on discute la victimisation de personnes trans qui sont d’une démographie totalement différente.
A l’heure actuelle, comme écrit dans le rapport 2021 du Trans Murder Monitoring, les personnes trans les plus à risque d’être tuées sont des hommes, noirs et prostitués. Transrespect vs Transphobia ne récolte pas de données sur l’orientation sexuelle des personnes tuées, mais sachant que les hommes gays sont particulièrement victimes d’agressions physiques, cela joue sans doute aussi un rôle.
Encore une fois, je ne peux tirer de conclusions que sur les données que je possède. J’aimerai juste que les associations trans fassent de même, au lieu d’inventer des motifs de meurtres et de compter les suicides comme des assassinats transphobes.
Parenthèse sur la date du TDoR
Je me dois de parler quelques instants de la date de la Journée Internationale du Souvenir Trans. Je dois en parler parce que cette année, Nous Toutes a décidé d’organiser la marche contre les violences faites aux femmes le 20 Novembre, qui est aussi la date du TDoR. Malgré tous les efforts de Nous Toutes pour intégrer les personnes trans à la marche, de nombreuses personnes trans et associations ont dénoncé leur choix de date comme étant transphobe.
Lors de la marche, des activistes ont taggé les murs pour dénigrer Nous Toutes, les accuser d’invisibiliser les personnes trans, jusqu’à les insulter et traiter de Terfs. Là où je trouve ça particulièrement ironique, c’est que le 20 Novembre est également la journée internationale des droits des enfants, et ce depuis 1989, soit 10 ans avant que la TDoR soit instaurée. Et c’est pour cette raison que Caroline de Haas avait décidé de faire la marche le 20 Novembre.
Faire cesser les violences
J’ai beau marteler que les personnes trans ne sont pas susceptibles d’être tuées dans les proportions annoncées par les organisations trans, reste que des personnes trans sont tuées et que c’est un problème, bien sûr. Là où je suis encore en désaccord avec les associations, c’est sur la manière de traiter ce problème. Comme dit précédemment, le facteur de risque pour une personne trans n’est pas la trans-identité mais plutôt la précarité, le racisme, et la prostitution.
Or, si la précarité et le racisme ont l’air d’être prise en compte au moins partiellement par les activistes, ce n’est pas le cas de la prostitution. Bien au contraire, la prostitution est considérée comme une libération et un droit fondamental, y compris pour les personnes trans. Dans la réalité, beaucoup de personnes trans précaires se prostituent pour survivre, surtout les personnes migrantes en France. Comme le rappelle TvT, cette année, plus de la moitié des personnes trans tuées étaient prostituées. Et c’était pareil l’année d’avant.
En France, les personnes trans tuées sont régulièrement impliquées dans la prostitution, et sont souvent migrantes. Pourtant, on pouvait voir des tags contre l’abolitionnisme à la marche du 20 Novembre.
L’autre erreur des associations, qui d’ailleurs à mes yeux n’est pas du tout une erreur mais est totalement intentionnel, est de blâmer les femmes et les féministes pour les meurtres. Les activistes trans et leurs allié·es accusent régulièrement les « Terfs » d’être responsables des meurtres de personnes trans :
J’ai épluché le rapport des Trans Murder Monitoring , et je n’ai trouvé aucune instance de personne trans tuée par une femme. Encore moins par une féministe radicale. Les personnes trans sont victimes de partenaires violents, de leurs proxénètes, de clients, d’hommes homophobes, mais pas de féministes.
Cela n’a pas empêché Act Up-Paris de déclarer dans une publication que les « Terf » étaient complices des assassinats d’hommes transidentifiés en 2019. Pour rappel, Act Up est une association de lutte contre le SIDA/VIH qui a ses racines dans les groupes militants homosexuels.
Les associations continuent d’ignorer les raisons derrière les meurtres, et pour cette raison je ne pense pas qu’elles puissent développer une stratégie efficace pour limiter les violences. Leurs actions sont basées sur une représentation erronée de la situation, et non sur une analyse factuelle. C’est ce qui les amène à blâmer des femmes et à encourager la prostitution malgré les preuves chiffrées qui sont produites chaque année.
Une fin des violences ne peut s’envisager sans une abolition de la prostitution et sans adresser la violence des hommes.
Conclusion
Je pense sincèrement que cette mauvaise représentation des données disponibles ne peut pas faire de bien aux personnes trans. Beaucoup vivent dans la peur de se faire agresser ou tuer alors que c’est visiblement très peu probable que cela arrive. A long terme, comme le souligne FORGE, faire croire aux personnes trans qu’elles sont en danger de mort ne peut pas les aider.
C’est aussi le meilleur moyen de saboter des alliances. D’ailleurs, les mensonges autour des données statistiques sont responsables en grande partie de mon peak trans. Ce n’est pas possible de créer des communautés et des associations d’aide en mentant de la sorte, que ce soit pour faire avancer les objectifs militants ou pour valider un sentiment de victimisation qui fait se sentir légitime.
Je me plaignais dans mon dernier article du manque de données, et c’est un problème qui n’a pas disparu depuis (en une semaine, ç’aurait été miraculeux). Mais pour ce qui est des causes des morts, il se trouve que nous avons des informations, puisque des associations françaises comme Acceptess-T ou sos-transphobie cherchent et communiquent sur ce sujet. Seulement, en déformant la réalité pour dédouaner les hommes et rendre les féministes responsables, les associations trans et leurs allié·es font du mal à leur communauté.
Je ne peux pas pardonner les mensonges, l’agressivité et la malhonnêteté des personnes et des associations qui utilisent cette journée pour répandre de fausses informations. Rien ne justifie ça. Rien ne justifie d’instrumentaliser des meurtres et d’en masquer les causes pour servir l’agenda politique d’une partie privilégiée de la population. Vous voulez aider les « personnes trans TDS migrantes précaires » ? Abolissez la prostitution, combattez l’homophobie et le VIH, arrêtez de taper sur les féministes et adressez la violence masculine. Mais ça demanderai de regarder dans le miroir et de réaliser que beaucoup de problèmes viennent de l’intérieur…
Il manque toujours des données essentielles, mais on ne navigue pas autant dans le noir que pour l’obtention de statistiques. On peut être en capacité de savoir comment améliorer les choses.
Sources externes :
(1) Article sur la Journée du Souvenir Trans 2021 de Têtu
(2) Trans Americans are being murdered : Does anyone care ? par Gina Duncan
(3) 18 Transgender Killings This Year Raise Fears of an « Epidemic » du New York Times
(4) A National Epidemic : Fatal Anti-Transgender Violence in America in 2018 de Human Right Campaign
(5) « Les personnes transgenres aux Etats-Unis ont une chance sur deux d’être tuées », sur Politifact
(6) No More « Lying » : Law Bolsters Transgender Argentines
(7) Journée du Souvenir Trans 2021 : La Transphobie Tue Toujours de Révolution Permanente
(8) Transgender Day of Remembrance (TDoR) Rappelons au monde que la transphobie tue ! de Fédération LGBTI+
(9) Le 20 Novembre, le TDOR : la transphobie tue de L’Anticapitaliste
(10) Communiqué de La Station sur la Journée mondiale du souvenir transgenre sur Strasbourg Furieuse
(11) TRANS : L’état nous assassine de Act Up-Paris et le FLIRT
(12) Trans Murder Monitoring : Rapport de 2021
(13) Trans Lives Matter : Remembering Our Deads
(14) The appropriation of black and hispanic trans deaths by white trans women and political opportunists (archivé)
[kofi]
CC BY-NC-SA 4.0