« Je vais commencer par expliquer ce que les organisations intersexes veulent dire quand elles disent « spectre du sexe« , « diversité du sexe biologique« , ou « idée binaire du sexe« . Ces termes ont été brouillés et cooptés pour correspondre aux campagnes d’autres groupes sans intérêt pour ce qu’ils voulaient dire à l’origine. Quand nous disons que le sexe est divers et ne rentre pas une binarité, cela veut dire qu’il y a plus d’un phénotype pour le sexe mâle et plus d’un phénotype pour le sexe femelle. »
–Interinfo
Face à l’idée que le sexe est une binarité, de nombreux activistes trans ont protesté à l’aide d’un modèle qui était censé expliquer les différences que l’on peut trouver dans la population, notamment les variations intersexes : le modèle du sexe en tant que spectre. Cette invention permettait d’expliquer pourquoi une femme trans est une femme, pourquoi un homme trans est un homme, pourquoi les non-binaires sont ni l’un ni l’autre, et pourquoi les genderfluides peuvent naviguer entre les deux.
En réponse à ce modèle, certaines personnes protestèrent en disant que ça ne faisait aucun sens. Ce qui est logique. Une troisième version est donc arrivée, voulant faire un consensus entre binaire et spectre : le modèle bimodal du sexe. Tout comme un spectre, le modèle bimodal ne s’applique pas au sexe des humains. Il est cependant de plus en plus accepté de par son côté moins « extrême » que les deux autres, et ceci même au sein du milieu académique.
Comme nous l’avons déjà expliqué, le sexe en tant que spectre est un mythe total. Mais ici nous allons entrer en profondeur dans le pourquoi.
Qu’est-ce qu’un spectre ?
C’est une question importante, mais que personne ne semble poser. Un spectre est un ensemble d’éléments qui s’alignent parfaitement les uns à côté des autres, formant une continuité. Par exemple, la lumière est un spectre. Pour qu’un élément soit un spectre, il faut donc que les unités sur l’axe des x se suivent, sans trous et dans l’ordre.
Pour placer le sexe sur un spectre, il faut commencer par trouver une unité. Comment calculer le sexe d’une personne ? Nous utilisons les paramètres génétiques pour le faire, mais ces paramètres nous indiquent que le sexe est binaire, donc les académiques transgenres derrière ce modèle se sont basés sur le phénotype : les caractéristiques corporelles d’une personnes.
Ce graphique, réalisé pour Scientific American en 2017, est censé prouver que le sexe, loin d’être binaire, est en fait quelque chose de compliqué dans lequel il y a des entre-deux : les intersexes. On peut voir que les mâles typiques sont à droite, et les femelles typiques à gauche. Alors pourquoi ça ne fonctionne pas ?
Ce graphique est une superbe représentation des différents troubles du développement sexuel, mais comme vous pouvez le voir avec l’affluence des flèches, ceci n’est pas un spectre. Ce visuel n’est pas linéaire, il ne propose pas de données qui se suivent sur son axe. Vous remarquerez d’ailleurs que le centre du graphique est vide, puisqu’il n’y a rien à mettre là. Aucun être humain ne se trouve à l’intersection de mâle et de femelle.
Cette infographie classe les variations intersexes de femelle à mâle en se basant sur : les chromosomes (XX, XY, XXY…), les gènes (présence ou non du SRY, mutations…), les hormones (progestérone, testostérone…) les organes sexuels internes et externes (prostate, utérus, clitoris…) et les caractéristiques sexuelles secondaires (pilosité, poitrine, répartition de la graisse…). Les autrices notent également le moment où ces éléments entrent en compte : conception, naissance, puberté.
Le problème c’est que le sexe ne se définit pas tout au long de la vie : il est défini à la conception par la nature des gènes, et de là découlent toutes les caractéristiques primaires et secondaires, car le corps s’organise pour la reproduction. Ce n’est donc pas les hormones qui définissent le sexe, c’est le sexe qui définit les hormones. Une anomalie est une anomalie, justement : elle n’est pas normale. Une femelle avec un taux élevé de testostérone est une femelle avec un taux élevé de testostérone, pas la preuve qu’une femme peut être un peu mâle.
Le fait que les êtres humains aient naturellement des variations dans leur développement sexuel est lié au fait que notre espèce est dimorphique. Si nous n’étions pas autant séparés entre mâles et femelles, alors ces variations 1) passeraient inaperçues et 2) ne causeraient pas de problèmes de santé. En conclusion, le sexe n’est pas un spectre.
Qu’est-ce qu’une courbe bimodale ?
Une courbe bimodale est un modèle statistique qui montre deux tendances, et qui représente souvent deux populations. Par exemple, si l’on classifie la taille des gens du plus petit au plus grands en fonction du nombre, on se rends compte qu’il y a deux sommets sur la courbe. Le premier représente la taille moyenne des femmes (qui sont plus petites) et le second représente la taille moyenne des hommes. On remarque alors que ces deux courbes se chevauchent : c’est parce que certaines femmes sont plus grandes que certains homme. Il y a donc une zone « double » dans laquelle les hommes et les femmes font la même taille.
Ici, l’idée est de dire qu’au lieu d’avoir les femelles tout à gauche et les mâles tout à droite, nous sommes tous une variation des deux, à différents niveaux. Ainsi, en classant les individus avec les mêmes critères que le spectre plus haut, on obtient bien deux courbes : une avec la majorité des femmes, une avec la majorité des hommes. Aux extrêmes, il y a les femmes les plus féminines et les hommes les plus masculins. Dans l’entre-deux, les intersexes.
Ici, les intersexes sont utilisés comme argument pour dire que le sexe n’est pas séparé en deux, mais est une courbe sur laquelle les gens tombent, plus ou moins proches du centre ou des bords, avec la majorité dans une moyenne de mâle ou de femelle. Ce modèle ignore un sacré paquet d’éléments, notamment le fait qu’il y a trop peu de naissances intersexes pour que ce soit viable. Mais surtout, tout comme le modèle du spectre, il confond caractéristiques sexuelles secondaires et sexe.
Ce modèle revient à dire qu’une femme née avec des variations comme la taille des seins plus faible, une forte pilosité, une voix dans les tons bas, etc. se rapproche en fait des mâles de la courbe. Certaines de ces caractéristiques sont liées à la biologie, d’autres au genre. Mais peu importe les caractéristiques sexuelles secondaires, car ce ne sont pas elles qui définissent le sexe : elles sont définies par lui.
La manière de classer les gens, tout comme sur le spectre, est arbitraire : il n’y a pas de consensus de par la nature des variations intersexes. Est-ce qu’une femme XY mais n’ayant aucune caractéristiques masculines est plus proche du centre qu’un homme avec un utérus dans l’abdomen ? Comment classer ce genre de choses ? Il n’existe pas une infinité de variations, le nombre de troubles du développement sexuel tourne autour de 40, et ils sont tous répertoriés. Ce qui est infini, ce sont les variations naturelles des corps, dans une catégorie sexuelle définie.
Le problème avec ces modèles
Le premier problème, au delà du mensonge, est dans le respect apporté aux personnes intersexes. En effet, ces modèles sous-entendent à peine qu’une femme poilue est moins une femme qu’une femme qui a moins de poils. Une femme qui a fait retirer ses seins est-elle plus un homme, désormais ? Qu’en est-il d’un homme avec un petit pénis, ou pas de barbe ? Classer les gens selon ces critères est offensant, faux, et dangereux.
Imaginez une seconde un adolescent qui se fait harceler car il est efféminé. Il n’a pas de poils, une voix haute, avec des cheveux mi-longs. Il s’en plaint à un professeur. Sauf que selon ce modèle, il est effectivement plus une femme que ses camarades. La solution serait alors qu’il accepte qu’il est en partie femme ? Plutôt que d’accepter que les gens peuvent avoir des physiques très variés, ces modèles mettent tout le monde dans des boîtes arbitraires. Venant du groupe qui n’aime pas le sexe car il met les gens dans des boîtes justement, ne serais-ce pas plus judicieux d’accepter que le sexe n’est qu’une part de l’identité d’une personne, n’a rien à voir avec la personnalité, et ne devrait jamais être sujet à moqueries ?
L’autre problème vient de la protection des catégories protégées sur la base du sexe : les femmes, les homosexuel.les, les transgenres. Dans la loi, il est interdit de discriminer une femme à l’embauche en raison de son sexe. Si un homme peut se revendiquer femme ou qu’une femme est perçue comme un homme, cette protection n’existe plus. Un employeur peut refuser toutes les femmes et justifier que ça ne compte pas car elles sont plus du côté « homme » de la courbe que la moyenne. Ce n’est donc pas en raison de leur sexe !
De la même manière, si on reconnais qu’un homme peut tomber enceinte, alors il devient acceptable pour les hommes (non trans) et les femmes trans (qui ne peuvent pas tomber enceintes) d’avoir leur mot à dire dans ce débat… Car après tout l’avortement est un problème d’hommes, aussi ! Les catégories sexuelles, dans ce genre de cas, servent à protéger, pas à restreindre.
Retirer la catégorie sur laquelle sont basées les protections sociales de groupes oppressés ne peut pas se faire sans problèmes pour ce groupe, et ce n’est pas quelque chose que les activistes trans qui poussent ce modèle sont prêts à entendre : la plupart sont homophobes et misogynes. Les protections basées sur le sexe ont beau les protéger, ils préfèrent baser leurs protections (et celles des autres !) sur le genre, qui est arbitraire est non fiable. On ne peut pas observer le genre, mais on devrait l’utiliser dans les lois ?
Conclusion
Le sexe est binaire, le sexe n’est pas un spectre, le spectre n’est pas bimodal, et son effacement n’entraînera rien de bon. Utiliser les personnes intersexes comme argument pour leur retirer leurs protections est abusif, et simplement mal. Une femme intersexe subit le sexisme comme n’importe quelle femme, en plus de subir les dommages liés à sa condition médicale.
Beaucoup argumentent que c’est la binarité du sexe qui est la raison derrière les mutilations intersexes, mais c’est faux. Le sexe est, et a toujours été, binaire. C’est l’idée selon laquelle il existe un modèle « correcte » d’homme ou de femme qui est la source des mutilations et des dommages causés aux intersexes. Une femme est une femme, même avec une grosse voix ou des testicules internes.
La solution est d’accepter la diversité naturelle des corps, sans effacer les problèmes médicaux qui accompagnent l’intersexuation.
Sources externes :
(1) Can you prove sex is not a spectrum ? par Interinfo sur Tumblr
(2) Is sex Bimodal ? Par Paradox Institute sur Youtube
[kofi]
CC BY-NC-SA 4.0
8 réponses sur « Le sexe n’est pas un spectre »
Bravo pour cet article, j’ajoute que les dosages de testostérone dans le sang des femmes qui en ont le plus est infime par rapport au dosage de testostérone dans le sang des hommes qui en ont le moins. Donc là non plus pas de continuum mais une vraie différence.
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pretendre que vous detenez la vérité absolue sur ce qu’est une anomalie dans l’espace et le temps montre a quel point vous optez pour vos propres biais afin non d’élucider mais demontrer que vous auriez raison et que vos préjugés sont vraies… Heureusement que ce que nous pensons etre une anomalie ne le reste pas… c’est ce qui a permis de liberer les femmes de l’hysterie et de la cuisine. ici seule la necessité de nuire à d’autres personnes (les personnes transgenres) subsiste. et c’est dommageable pour vous…
Ce qui est drôle c’est que je suis arrivée à ces conclusions après avoir cru que le genre était inné et le sexe un spectre pendant un temps, parce que je voulais soutenir les trans. Puis j’ai tout remis en question, j’ai lu beaucoup d’articles scientifiques, beaucoup de témoignages, et j’ai réalisé que je me trompais, et que les affirmations des trans étaient fausses.
Ceci dit je ne vois pas en quoi cet article nuit aux personnes trans. Je suis ouverte aux critiques de mes articles mais je ne vois aucun argument dans votre commentaire, juste de la prétention.
Salutations…
Votre article est intéressant, mais je trouve que vous n’avez pas répondu à certains problèmes.
Comment vous définissez un homme et une femme en soustrayant l’aspect du genre ? Vous parlez de « femme intersexe » dans votre article… quand est-ce que une personne intersexe doit être considérée comme une femme ou un homme ? On doit prendre en compte son appareil génital externe (qui peut être ambiguë), ses chromosomes sexuels (qui peuvent être une mosaïque), ses gonades (elle peut avoir les deux)… quel aspect précis de la biologie vous utilisez pour dire telle est une femme ou telle est un homme ?
Le sexe est défini par sa fonction reproductive (et non l’apparence ou la capacité réelle de reproduction). Donc on définit le sexe d’une personne en fonction de tous ces facteurs, car au final le corps se développe toujours dans un but reproductif, et pas deux. Même les personnes ayant les deux types de gonades, au passage hyper-rares, ne peuvent produire les deux types de gamètes. Voilà ce qui permet d’éviter de coller des caractéristiques physiques comme nécessaire à un sexe, ce qui serait dommageable. Cette définition permet pour cette raison de se concentrer sur la santé et le ressenti des personnes ayant un TDS, et non leur apparence, limitant ainsi les justifications pour des opérations non nécessaires.
Merci pour votre réponse. J’ai passé ma journée à lire votre blog (et j’ai d’ailleurs trouvé les réponses à mes questions sur d’autres articles), c’est fort instructif.
Bonne continuation !