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Le plafond de coton (cotton ceiling) : Définition

Plafond de verre : Barrière sociale ou professionnelle implicite, empêchant l’ascension d’une personne, d’un groupe.


Le plafond de coton (cotton ceiling en anglais), c’est quoi ? Il s’agit d’une expression inventée par un homme trans-identifié et star du porno, Drew DeVeaux. L’expression se réfère aux culottes des lesbiennes, et est une référence à l’expression « plafond de verre ». Cet article détaille l’origine du terme, son utilisation et pourquoi il encourage la culture du viol envers les lesbiennes.

Création

Drew DeVeaux est un homme trans-identifié qui travaille dans l’industrie pornographique. Il a créé le terme « plafond de coton » en référence au plafond de verre. Le plafond de verre est un élément empêchant les femmes d’avancer dans leurs professions après avoir atteint un certain point. Sauf que dans ce cas, le plafond qui doit être dépassé et détruit, c’est le sous-vêtement des femmes, qui serait une entrave permettant la totale libération des femmes trans. L’approbation sexuelle des lesbiennes serait en quelque sorte l’ultime validation pour les hommes qui veulent être considérés comme des femmes.

Le terme a été utilisé par la première fois lors d’une conférence à laquelle DeVeaux participait en tant qu’invité. Intitulée « No More Apologies », le contenu de son intervention est disponible en intégralité à travers 4 posts sur son blog tumblr (inaccessible sans compte car contenant du contenu pour adulte). Cette intervention date de 2012, et DeVeaux a dédié une explication au terme plafond de coton deux ans plus tard, en 2014, suite aux nombreuses critiques reçues.

Je considère que les femmes trans rencontrent souvent un « plafond de coton ». Ce « plafond de coton » fonctionne un peu comme ceci : en tant que femmes trans nous avons graduellement été « acceptées » dans les espaces des femmes queer et à des degrés variés, notre présence est rendue explicite et parfois recherchée ; cependant, ce qui arrive souvent est que nous somme exotisées et le plus souvent désexualisées ; les femmes cis queer peuvent être sincèrement reconnaissantes de notre présence ; elles nous dragueront parfois et même sortiront avec nous ; mais le plus souvent il y a une résistance au fait de nous considérer réellement comme des personnes qu’elles aimeraient baiser, fréquenter romantiquement, ou avec lesquelles être intimes d’une façon ou d’une autre.

DeVeaux, D. (2012, avril 14). No More Apologies Keynote Address. Drew DeVeaux.
Extrait traduit par mes soins.

Tout son discours, qui est assez condensé, a pour but de partager l’idée selon laquelle le fait d’être considéré désirable est synonyme de privilège, de statut social et provient d’une position dominante dans la société. Il élargit cette idée à toute personne marginalisée, prenant l’exemple du handicap ou de la couleur de peau comme facteurs qui vont rendre les gens moins désirables dans une société qui discrimine ces traits. Ainsi, il conclut son intervention par la phrase suivante (traduite par mes soins) : « J’aimerais que nous toutes, aujourd’hui, examinions les manières dont nous incarnons corporellement le privilège et comment notre accès aux privilèges a formé nos expériences dans la communauté queer ; en particulier je pense que nous devrions réfléchir aux façons dont le privilège et l’oppression ont formé les politiques du désir, la hiérarchie de qui est baisable, ou peu importe la manière dont voulez appeler ça, dans nos communautés« .

Pour traduire, DeVeaux considère que les femmes trans, donc les hommes qui s’auto-identifient comme des femmes, sont marginalisés dans le milieu homosexuel en raison de leur sexe. Il pense que si les lesbiennes ne veulent pas de lui, c’est parce qu’il est trans, et pas parce qu’il est un homme. Sans même prendre en compte l’identité de genre, il pense que si des femmes homosexuelles ne veulent pas de rapports sexuels avec lui, cela n’a rien à voir avec le fait qu’il n’est pas de leur sexe. Ou alors, il pense que ce n’est pas acceptable.

Misogynie et homophobie

Le terme a été inventé spécifiquement pour se référer à une catégorie de lesbiennes : celles qui soutiennent les hommes trans-identifiés politiquement, respectent leur pronoms, les voient comme des femmes, mais refusent d’avoir des relations sexuelles avec eux. Il ne s’agit pas de réduire les violences dont sont victimes les personnes trans, de réduire le stigma autour de leurs identités ou de leur permettre d’accéder à des droits fondamentaux. Il s’agit de dire « si vous dites que vous me voyez comme une femme mais que vous refuser un contact sexuel avec moi, alors vous me discriminez ».

En plus de postuler que les hommes sont opprimés par les femmes, DeVeaux explique clairement qu’il pense que l’homosexualité n’existe pas ou devrait s’adapter à ses envies personnelles. Selon lui, si on n’est pas attiré par une personne trans en raison de son sexe, la solution est de… changer d’orientation sexuelle. Étendre son champs des possibles et arrêter de se restreindre. Ce qui est non seulement homophobe au dernier degré, mais une rhétorique de thérapie de conversion.

Nous avons tous nos préférences personnelles en terme de ce qui nous chauffe. Ceci dit, dans la plupart des cas, je pense que nos sphères de désir sont bien plus large que ce qu’on pourrait penser. Cependant, si on referme instinctivement la porte à la possibilité d’avoir un partenaire trans, ou à un partenaire handicapé, ou un partenaire gros, par exemple, alors on ne fais pas que reproduire des standards merdiques de « désirabilité », on prends le risque de rater un truc super !

DeVeaux, D. (2012, avril 14). No More Apologies Keynote Address. Drew DeVeaux.
Extrait traduit par mes soins.

L’idée que le soutien aux femmes trans passe par le lit est un concept qui relève de la culture du viol, mais cette expression révèle un état d’esprit spécifiquement destructeur. L’idée qu’une femme, sexuellement attirée uniquement par d’autres femme, doive accepter un corps mâle dans son lit pour être une vraie alliée à leur cause, est extrêmement destructive et coercitive.

Culture du viol

Bien sûr, en plus de renvoyer à une misogynie crasse et une homophobie basique (les hommes ont toujours voulu entrer dans le lit des lesbiennes), cette expression relève d’une culture du viol à peine dissimulée. En effet, l’expression d’origine, « le plafond de verre », se réfère au blocage hiérarchique auquel font face les femmes dans leur carrière en raison de préjugés sexistes. Ce plafond de verre est à éradiquer, pour permettre aux femmes d’accéder à des postes élevés au lieu de croupir en bas de l’échelle.

Comparer les sous-vêtements des lesbiennes à ce plafond, c’est les comparer à un obstacle à franchir. Les culottes des lesbiennes ne sont pas quelque chose qui doit être vaincu pour permettre aux pénis des femmes trans de passer. Ces sous-vêtements ne sont en rien un obstacle aux droits des personnes trans. Les lesbiennes n’ont pas besoin de donner de raison pour refuser une relation sexuelle avec les femmes trans, prétendre le contraire revient à justifier les comportements des violeurs.

Une illustration au marqueur comparant (à gauche) le plafond de verre et (à droite) le plafond de coton. Le plafond de verre est décrit comme "Les hommes ne me laissent pas progresser dans ma carrière à cause de mon sexe en tant que femme, nous devons retirer ce plafond de verre". Le plafond de coton est décrit comme "Les lesbiennes ne veulent pas me laisser entrer dans leur sous-vêtement de coton avec mon pénis de femme pour les baiser".
Illustration par Feminist Awakening sur le « cotton ceiling », ou plafond de coton

Je vous invite à lire mon article sur la culture du viol dans le mouvement trans si cette question vous intéresse. Le problème va bien au-delà du plafond de coton, et ne touche pas que les lesbiennes.

Impact du concept

Je me dit qu’une partie d’entre vous a sans doute réalisé que le discours dont le parle a actuellement plus de dix ans, ce qui est vrai. Mais j’aimerais transmettre le fait suivant : ce concept est utilisé partout par les personnes trans, dans de nombreux contextes. L’expression est majoritairement utilisée pour dénoncer ce phénomène de nos jours, donc il n’est pas nommé par les personnes qui le défendent. Cela n’empêche pas que l’idée que « refuser un rapport » soit une discrimination est très présente, y compris en France.

En Janvier 2012, le Planning Familial de Toronto (Canada) avait organisé un atelier dont le but était de renverser la barrière que représente le plafond de coton pour les femmes trans… En 2017, Meredith Talusan, homme identifié non-binaire, écrivait un article pour se plaindre que lui et deux amis (dont Alok Vaid-Menon) n’arrivaient pas à trouver de relations sexuelles avec des hommes à cause de leur identité, se comparant aux hommes mit dans la « friend-zone ». Il existe plusieurs personnes trans qui ont traité la question.

En France, le compte Instagram de Lexie (@aggressively_trans) a parlé du sujet en 2020 dans un poste sur les « préférences génitales ». Quand je l’ai consulté en janvier 2024, le post avait 2600 likes. Dedans, on peut lire que c’est se « fermer des portes » de ne pas vouloir expérimenter sexuellement avec une personne qui ne nous attire pas en raison de son sexe. La conclusion compare l’homosexualité à une réduction de la personne pour ses parties génitales et à une fétichisation ou à du racisme.

Ici les parallèles peuvent être nombreux : préférences raciales, putophobie, grossophobie : autant de dynamiques ancrées dans ce qu’on croit aimer par essence mais nécessite un effort intellectuel profond pour un but simple : relationner avec des personnes, pas des organes ; pas une couleur de peau ; pas des kilos…

Lexie. (2020, août 25). Préférence génitale et construction des identités—Partie 2. Instagram. https://www.instagram.com/p/CETwlq6gG0b/

Il existe d’autres exemples mais je vous laisse le soin d’aller vous renseigner sur les sites trans, leurs guides, les comptes Instagram qu’elles recommandent. Vous constaterez qu’il ne s’agit pas d’exemples isolés mais simplement d’exemples documentés et représentatifs.

Conclusion

Je rejette l’existence d’un plafond de coton empêchant les femmes trans d’accéder à une forme de validation. Je reconnais ce terme comme abusif et coercitif, produit de la culture du viol. Je critique toute utilisation de l’expression « plafond de coton », et je dénoncerai la lesbophobie que cela encourage.

CC BY-NC-SA 4.0
Cet article a été mis à jour le 17 avril 2024.

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