L’idée que mégenrer quelqu’un est une violence se répand de plus en plus, y compris dans le monde francophone. Il est donc temps pour moi d’analyser un peu ce phénomène, d’expliquer ce qu’est et n’est pas le mégenrage, et surtout pourquoi ce n’est pas une violence.
La nécessité d’écrire cet article est devenue évidente quand même Nous Toutes se sont vues forcées de faire une infographie sur le sujet. Mais je devais écrire un article traitant des pronoms depuis longtemps, alors j’ai saisi l’occasion. D’autres articles, notamment sur le concept même des pronoms préférés, suivront probablement.
« Mégenrer », kézako ?
Le terme « mégenrer » est un néologisme, dérivé du terme « genrer », lui aussi un néologisme. Ces deux mots se réfèrent au genre d’une personne, dans le sens « identité » et non « rôle social attribué au sexe ». Le fait de « genrer » consiste à attribuer un genre à une personne quand on s’adresse à elle, en utilisant des pronoms et des accords personnels. C’est donc avant tout une notion de grammaire, une notion liée au langage.
Quand on « genre » quelqu’un, dans la croyance trans, on lui attribue une identité, masculine, féminine, ou autre. Ainsi, contrairement à ce que tout le monde fait et qui a toujours été fait en français, les pronoms (il, elle) ne décrivent plus un sexe mais une identité. Pareil pour les accords (féminins, masculins ou neutres).
Ainsi, si j’écris « une infirmière », selon ce fonctionnement, j’attribue un genre féminin à un être humain dont la profession est d’être infirmière. Nous ne savons rien de cet être humain, ielle pourrait être un mâle, une femelle, un homme, une femme, non-binaire, etc. Tout ce que vous êtes censées savoir, c’est que cette personne se reconnaît dans l’utilisation de pronoms associés à la féminité (peu importe ce que ça veut dire).
Mégenrer, c’est donc l’action de mal genrer quelqu’un. Pour reprendre la définition de Nous Toutes, « Le mégenrage consiste à se tromper volontairement ou involontairement de genre lorsqu’on s’adresse à une personne ». Le problème, c’est que cela sous entend que tout le monde attribue un genre à autrui à travers le langage. Cela implique aussi qu’il y a une façon correcte et une façon incorrecte d’attribuer un genre. Et cette façon est définie en fonction des sentiments d’une personne dont on parle, au lieu d’être une simple fonction descriptive pour l’entourage.
Dans la réalité
Tout ça, c’est la théorie queer, à laquelle Nous Toutes a visiblement décidé d’adhérer. Malheureusement (ou heureusement ?) la réalité est toute autre. Car dans la réalité, chaque être humain a un sexe, mâle ou femelle, déterminé au moment de la conception, et qui influence notre phénotype (notre apparence). Ce sexe est observable, puisque nous sommes une espèce dimorphique sexuellement. Nous sommes tellement dimorphiques qu’il est possible de différencier un homme d’une femme en quelques secondes dans 99% des cas (et les 1% qui restent ne sont pas « ni homme ni femme »).
L’identité de genre, à l’inverse, et pour peu qu’elle existe, est invisible. On ne peut pas connaître l’identité de quelqu’un simplement en regardant une personne. C’est pour cette exacte raison que le langage, qui est une outil descriptif, s’adresse au sexe d’une personne et non à un sentiment identitaire quelconque. C’est aussi la raison pour laquelle il est de coutume de faire un « tour des pronoms » dans les espaces trans, et de mettre ses pronoms dans sa biographie sur les réseaux sociaux. Cette pratique est si courante qu’Instagram et Pinterest ont une fonction dédiée à ça. Ne pas le faire peut donner lieu à des représailles.
Cependant, moi, quand je dit « une infirmière », je décrit une femme, de sexe femelle, qui exerce la profession infirmière. Peut-être que cette femme s’identifie comme un homme, mais ce n’est pas la question, parce que je décrit la réalité matérielle de son existence, son sexe. Le fait que j’utilise le pronom et les accords féminins ne dit rien de l’identité, des goûts ou de la personnalité de cette femme. C’est là toute l’utilité d’un langage sexé et non genré.
Il y a donc un décalage entre la réalité du langage et l’action de « genrer » une personne. Ce décalage est la source de beaucoup de désaccords, puisque les radfems (et toute personne réaliste) savent que puisqu’on ne genre pas, on ne peut pas non plus « mégenrer ». En face, les personnes trans sont blessées de ne pas être perçues comme leur sexe désiré, et prennent cette blessure émotionnelle comme une violence littérale.
Bien sûr, cette interprétation donne lieu à de nombreuses dérives.
« Mégenrer », une violence ?
Afin de rendre la compréhension de l’article plus clair, voici les 3 slides de l’infographie postée par Nous Toutes.
Vous noterez que le fait de ne pas respecter les pronoms est non seulement liée à de la violence, mais aussi à une cause de dépression et de suicide pour les personnes trans. Ces affirmation sont faites sans aucune source pour en vérifier les faits, ce qui est dommage (et très peu professionnel) étant donné qu’on parle de quelque chose de grave. Le fait de mégenrer est automatiquement associé à une forme de violence qui doit être combattue, au même titre que les féminicides (contre lesquels se positionne Nous Toutes depuis longtemps). Puisque le fait de mal genrer conduirait à la mort, on le compare à des meurtres. Cette comparaison est volontairement malhonnête.
Voici les trois grands problèmes de ce discours sur les pronoms :
1- Il est invérifiable. Comme je l’ai dit, il n’y a aucune source pour vérifier les dires de Nous Toutes. Je n’ai pas connaissance d’une étude sur la santé mentale des personnes trans et les pronoms. Ceci se répète pour chaque article lu sur le sujet, en anglais ou en français.
2- Il est dangereux pour les personnes trans. Entendre à longueur de temps que le mégenrage est une violence finit par faire croire que les gens sont réellement mal intentionnés. Cela renforce aussi l’idée qu’il est normal de se sentir mal et d’avoir des idées suicidaire quand quelqu’un utilise des pronoms non souhaités.
3- Il est dangereux pour l’entourage. Si mégenrer est une violence, alors il est considéré comme justifié de répondre à la violence par la violence ou de couper les relations avec des gens qui questionnent l’utilisation des pronoms souhaités. Quelques exemples (parmi tant d’autres) de personnes qui considèrent que des menaces sont appropriées face au mégenrage :
Et plus il devient acceptable de répondre au mégenrage par de la violence, plus il est accepté que mégenrer est une violence en soi. Sauf que le fait d’utiliser des pronoms basés sur le sexe n’est pas une violence. On ne meurt pas de « mauvais » pronoms, ou d’être appelé par son nom de naissance. L’idée selon laquelle « utiliser les pronoms désirés sauve des vies » est fausse. Elle est fausse parce que ce n’est pas parce que quelqu’un menace de se suicider en l’absence d’un comportement que ce comportement sauve des vies.
Adendum
Avant la conclusion, je tiens à rajouter une précision à cet article. Lorsque je l’ai posté, certaines personnes (dont une amie détrans) m’ont fait remarquer que j’avais sous-estimée la souffrance que vivent les personnes trans qui se font mégenrer. Je me doit donc de rajouter cette partie :
Pour être claire, je ne nie pas que se faire mégenrer, pour une personne trans, peut être ressenti comme très violent. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’utilise les pronoms préférés en personne. Je considère aussi que faire exprès d’utiliser les pronoms sexés d’une personne trans dans le but de mettre cette personne mal à l’aise ou en détresse, de révéler son identité trans, etc. est une forme de harcèlement. Dans le premier cas, c’est aussi un manque de considération de la dysphorie, et donc de la santé mentale. En tant que féministe, je n’accepte pas ces comportements.
En revanche, je considère également qu’utiliser des pronoms sexés n’est pas comparable à une insulte, une menace, ou de la désinformation. Ce n’est pas non plus du harcèlement, surtout quand il s’agit d’une erreur ou de la diffusion d’informations dans lesquelles le contexte du sexe a une importance. Il y a une distinction à faire ici entre les relations interpersonnelles et l’activisme. Ne pas exclure les femmes trans-identifiées et détrans c’est aussi comprendre ça. C’est comprendre que la compassion est importante et nécessaire.
Conclusion
Se sentir mal n’est pas synonyme d’avoir été victime de violences. On ne peut pas mégenrer si on ne genre pas, et personnellement je ne crois pas au genre. Je ne risque donc pas de mégenrer quelqu’un par erreur car, lorsque j’utilise les pronoms masculins pour parler d’un homme trans-identifié, je parle bien sûr de son sexe.
Cela n’a visiblement aucune importance pour les activistes trans, qui considèrent cela comme une violence non pas parce que j’ai l’intention de blesser ou parce que l’homme en question va subir un préjudice. C’est une violence parce que ça va à l’encontre de leurs désirs. Et c’est précisément l’enjeu des pronoms : le contrôle. Ce sera le sujet d’un article à venir très prochainement.
Je ne « respecte » pas les pronoms, parce que je n’ai pas à le faire. Et vous non plus. On n’a pas besoin de valider les croyances de quelqu’un pour respecter cette personne. Et je vous encourage à prendre votre courage à deux mains et à utiliser des pronoms sexés.
[kofi]
CC BY-NC-SA 4.0
8 réponses sur « « Mégenrer » n’est pas une violence »
Tes mots sont parfaitement choisis ! Mercie pour cet article de haut vol ! 🙏💪❤️ Encore une fois d’une clarté impressionnante. Mercie !
Excellentes clarifications, nécessaires. Merci beaucoup pour cette contribution !
Merci pour cet article très bien construit et qui rétablit un peu de logique dans les multiples discours loufoques actuels !
Il manque cependant la source pour le passage sur le dimorphisme, d’où vient le chiffre 99% ?
Appeler une personne autrement que comme elle veut être appelée est une violence, et c’est ce que je ne fais pas.
Ce n’est pas une violence. Personne ne devrait être obligé de se référer à une personne d’une certaine manière tant qu’il n’y a pas d’insulte proférée. C’est contraire à la liberté d’expression la plus banale. Peut-être que la personne vit mal le fait d’être appelée autrement que comme elle le désire, mais elle n’est pas victime de violence. Il faut n’avoir aucun problème pour le croire.
Bonjour,
« Les 1% qui restent ne sont pas ni homme ni femme »
Comment considérez vous les personnes nées avec un syndrome d’insensibilité total aux androgènes (chromosomes XY avec un phénotype féminin) ?
Comme des femmes.