S’il est bien un sujet dans lequel l’écoute des concernées est primordiale, c’est la détransition. Les femmes et les hommes qui détransitionnent ont la particularité d’être ignorés par les médecins, les médias et les groupes d’entraides trans, tout en étant diabolisées pour leur choix d’un côté et utilisé à des fins idéologiques de l’autre. La construction d’un avis éclairé sur la question ne peut se faire qu’en lisant ou écoutant de nombreux témoignages, car les parcours des personnes détransitionnées ou désistées sont variés.
Définition rapide
Il existe deux termes pour parler de l’inversion d’une transition : la détransition, et le désistement. On parle de détransitionneur/ses et de désisteur/ses. Ces termes sont encore très peu connu en français, donc ils peuvent varier. Voici la distinction entre les deux.
Le terme « détransition » se réfère à l’action de défaire une transition de médicale : prise d’hormones, de bloqueurs de puberté, pose d’implants, chirurgies diverses. Une personne qui détransitionne peut arrêter son traitement hormonal, faire des chirurgies réparatrices ou des retraits d’implants, parfois tout changer pour redevenir comme avant, parfois choisir de conserver des éléments de la transition qui étaient positifs.
Les personnes qui ont fait une transition uniquement sociale/non médicalisée font ce qu’on appelle un désistement. Cela consiste à arrêter de dire que l’on est de l’autre sexe/d’un autre genre, et le plus souvent à reprendre une apparence plus naturelle : arrêter de se maquiller pour les hommes désistés, arrêter de porter un binder pour les femmes désistées.
Dans les deux cas, la détransition consiste à reprendre contact avec son identité, à accepter son sexe, parfois sa sexualité, parfois ses problèmes mentaux ou physiques. Les personnes détrans reprennent le plus souvent leur nom de naissance et ne demandent plus à ce que leur entourage utilise d’autres pronoms que ceux basés sur le sexe. Il peut y avoir besoin de faire un changement d’état civil s’il y a lieu. C’est un processus long et souvent complexe, non linéaire et plein d’obstacles.
Pourquoi détransitionner
Les raisons derrière une détransition ou un désistement sont nombreuses et, comme je l’ai dit en introduction, le plus simple est de lire des témoignages de personnes détrans. Le compte de @detrans_elie sur Instagram est le seul à ma connaissance à partager des témoignages en français. Pour le reste, il existe de plus en plus de comptes anglophones qui partagent des histoires de détransition.
Les personnes détrans que je suis sur les réseaux sociaux et qui ont partagé leur expérience en tant que personne trans, leur parcours de détransition et leur situation actuelle ont des profils variés avec des similitudes : beaucoup sont homosexuelles et l’immense majorité a transitionné à cause d’une dysphorie de genre. Voici quelques raisons de détransition que ces personnes ont partagées.
Ne plus ressentir de dysphorie. Il est possible que suite au traitement hormonal et avec un bon soutien psychologique, la dysphorie disparaisse ou au moins baisse suffisamment pour que la personne trouve ça viable de détransitionner.
Être satisfaite de sa transition. J’ai lu au moins trois témoignages de lesbiennes qui, suite à une double ablation des seins, ne voyaient plus l’intérêt de s’identifier comme des mâles, et revenaient vers l’identité butch. Elles ont alors arrêté leur traitement et se sont à nouveau présentées comme des femmes, mais avec un torse plat/une voix grave/une pilosité plus élevée.
Vouloir conserver sa santé. La transition peut réellement endommager le corps, parfois de manière irréversible. Certaines personnes ont peur qu’à long terme un traitement hormonal, le port d’un binder, ou le fait d’avoir des implants nuise à leur santé. Le processus de détransition dans ce cas là est souvent complexe et douloureux.
Un réveil idéologique. Certaines personnes trans décident de désister ou détransitionner en réalisant que la croyance du genre ne leur convient pas, et qu’elles ne pourront jamais changer leur sexe malgré ce qu’on leur a dit. Elles préfèrent alors revenir à leur ancienne identité, parfois comme acte politique, parfois par choix personnel.
Ce sont 4 des très nombreuses raisons que j’ai rencontrées en lisant des témoignages sur internet. Je vous encourage vraiment à aller chercher vous-même les voix des personnes détrans, qui ont une vision du genre et du sexe très différente des radfems et des transactivistes. Je mettrais le lien de ressources (dont beaucoup sont en anglais) dans les sources externes de l’article.
La communauté détrans
Les personnes détransitionnées ont choisies le lézard comme symbole de la détransition pour sa capacité à faire repousser sa queue quand elle est coupée. Cet animal symbolise la résilience des personnes détransitionnées, la guérison, et l’espoir d’aller de l’avant. Sur Twitter, il est courant pour les personnes détrans de mettre l’emoji du lézard dans leur nom ou dans leur bio.
J’ai observé des femmes détransitionnées qui créaient des ressources pour les autres femmes dans leur situation. Ellie, dont j’ai parlé plus haut, a créé avec sa partenaire un livret d’information sur la détransition. Elles sont également derrière le compte @post_trans sur Instagram qui partage en anglais des témoignages de femmes détrans.
Bien que j’ai rencontré quelques hommes détransitionnées (tous homosexuels par ailleurs), je n’ai jamais vu de communauté détrans dédiée ou créée spécifiquement par des hommes. Les hommes détrans sont bien sûr les bienvenus dans les espaces en ligne créés pour les personnes détransitionnées, mais force est de constater qu’ils manquent d’une communauté propre.
Toutes les sources que j’ai sur le sujet ont tendance à minimiser le nombre de personnes détrans (le dernier chiffre en date est de 0,4% des personnes trans), et la détransition est souvent diabolisée au sein des groupes transgenres. Ces raisons expliquent que la création de communauté détrans soit compliquée, car il est compliqué pour les personnes concernées de se rencontrer et de se découvrir. Beaucoup ne veulent pas non plus s’engager politiquement. Hors, étant donné que l’existence même de personnes détransitionnées est considérée comme de la transphobie, se déclarer publiquement détrans est un acte politique.
Conclusion
Les personnes détransitionnées sont probablement la prochaine grosse vague à venir dans l’histoire des droits trans. Déjà en 2020 Keira Bell a gagné un procès visant à prouver qu’elle n’avait pas l’age de consentir à une transition médicale, ce qui a débouché sur l’interdiction de transitionner les enfants sous un certain âge. Les choses avancent.
Les intérêts des personnes détrans ne méritent pas d’être récupérés pour d’autres raisons, que ce soit par des radfems ou des transactivistes, voir des gens de droite. En ce sens, leur existence est politiquement semblable à cette des personnes intersexes. Militer pour un accès restreint à la transition, pour des solutions alternatives et pour une punition des mauvaises pratiques médicales liées à la transition sera bénéfique pour tout le monde.
Les personnes détrans sont fortes et courageuses. Elles ne sont pas brisées, elles ne sont pas « cis », ni transphobes. Tout mon respect à elles.
Sources externes :
Chaîne youtube de GNC Centric (anglais)
Tumblr de destroyyourbinder (anglais)
Le Tumblr Detrans Stories (aussi sur Instagram) (anglais)
Le site Post Trans (multilingue dont français)
Pique Resilience Project (anglais)
Detrans Voices (anglais)
Detrans Info (suédois)
Tumblr de detransgayguy (anglais)
CC BY-NC-SA 4.0