Je l’ai déjà expliqué (et je pourrais donner plus d’exemples encore) mais le but même du transactivisme est de créer une confusion entre le sexe et le genre. Chaque action de leur part censée revendiquer leurs « droits » est un moyen de nous garder confus sur le genre, la société, la notion de sexe et son importance. L’idée du « privilège cis » fais partie de ce mécanisme, tout comme la transmisogynie ou le cisexisme, mais je reviendrai sur ces deux concept dans d’autres articles.
Pour créer une dichotomie oppresseur/opprimée, le transactivisme se doit de reprendre des concepts réels tirés de mécaniques d’oppression diverses comme le racisme, le sexisme ou l’homophobie. Ainsi, pour que l’idée que les personnes trans subissent une oppression dans notre société soit crédible, il faut bien qu’un groupe soit à l’origine de cette oppression. Dans le cas du racisme, certaines ethnies en oppriment d’autres basées sur la couleur de peau et l’essentialisme. Avec le sexisme, ce sont les mâles qui oppriment les femelles en utilisant le sexe comme prétexte. Et dans le cas de la transphobie, ce seraient les personnes cisgenres qui oppriment les personnes transgenres sous prétexte que les personnes trans ont un genre qui ne correspond pas à leur sexe.
Nous avons donc le discours suivant : les personnes cis, dont le genre est aligné avec le sexe, oppriment les personnes trans, dont le genre n’est pas aligné avec le sexe, et qui changent leur corps et leur apparence pour que les deux aillent ensemble.
J’aimerais prendre une seconde pour vous faire noter que ce que je viens de décrire ne ressemble pas à un schéma d’oppression. En effet, les personnes trans veulent avoir la liberté de ressembler ou d’être comme leur oppresseur, les cis. Si le transactivisme était un réel mouvement social pour la libération, le but serait d’interdire les chirurgies et de militer pour l’acceptation de personnes dont le genre ne s’aligne pas avec le sexe, peu importe leur apparence.
J’ai plusieurs questions sur cette vision de l’oppression des personnes trans. Sur quelle base sont opprimées les personnes trans ? Où sont les structures d’oppression crées par les « cisgenres » qui ciblent les personnes trans ? Quels droits possèdent les personnes cis que n’ont pas les personnes trans ? Quels privilèges existent dans notre société pour une personne dont le genre s’aligne avec le sexe ?
Je ne vais pas répondre à ces questions dans cet article car le plus intéressant serait de les poser à une personne trans. En revanche, je vais développer les raisons pour lesquelles il n’existe pas de privilège cisgenre, pourquoi ce privilège est encore plus inexistant quand on parle des femmes, et enfin pourquoi ce concept, en plus d’être dangereux, est un formidable outil de manipulation.
Être femelle n’est pas un privilège
Lorsque les transactivistes soutiennent que les femmes cis sont privilégiées par rapport aux femmes trans parce qu’elles ont un genre (féminin) qui correspond à leur sexe (femelle), beaucoup de radfems leur rappellent très justement qu’être une femme n’est jamais un privilège, et que les femmes « cis » vivent des oppressions que les hommes transidentifiés ne vivront jamais en raison de leur sexe.
Les mutilations génitales féminines (ablation partielle ou totale des lèvres, du gland du clitoris, etc), les viols, le risque de grossesse et d’IST qui peuvent provenir de ces viols ou non, le repassage des seins, l’isolement forcé dans des huttes menstruelles lors des règles (dans lesquels de nombreuses filles meurent chaque année), le mariage d’enfantes à des hommes plus vieux, le port du voile, la prostitution, le trafique d’être humaines à des fins de prostitution ou de pornographie, les violences conjugales, l’inceste, le travail invisible et non rémunéré, le manque de traitements médicaux et d’équipements adaptés, l’avortement des filles en faveur des garçons, l’interdiction de disposer librement de nos corps, et j’en passe, sont des problématiques qui touchent les femmes en raison de notre sexe, pas de notre genre. Un homme trans vivra les mêmes violences.
Malheureusement, ces arguments ne touchent qu’à une partie du problème, car ce que les radfems oublient c’est que la majorité des activistes trans ne pensent pas que ces violences sont inexistantes. Ils pensent que ces violences seraient pires si les femmes en question étaient trans, et ils pensent que ces arguments n’ont rien à voir avec la notion d’alignement entre sexe et genre. Parce qu’ils ne voient pas le sexe, ces arguments ne les touchent pas. Ils toucheront n’importe qui d’autre, en revanche. Rappeler que la violence envers les femmes est un problème mondial est toujours utile.
Pour résumer : Le sexe féminin n’est pas un privilège, donc être une femme cis n’est pas un privilège sur la base du sexe, tout comme les hommes trans ne sont pas privilégiées sur leur sexe.
Être féminine n’est pas un privilège
Si ce n’est pas le sexe la source du privilège, alors attaquons nous au genre. Le genre féminin est un set de règles sociales, avec un code vestimentaire à adopter, des comportements acceptables et d’autres qui ne le sont pas, etc. Voyons si le fait de conformer au genre féminin peut apporter un quelconque privilège en observant à quoi il correspond.
Le genre féminin se traduit en premier lieu par une mise à disposition des femmes au profit des hommes. La féminité a de nombreux visages en fonction des pays et des cultures, mais elle garde certains points communs : les femmes sont toujours celles qui fournissent un travail communautaire essentiel mais ne sont pas payées pour le faire. La féminité est associée au soin de l’autre, à l’entretient d’une maison, des enfants et d’un mari. La féminité, c’est être disponible émotionnellement et sexuellement pour les hommes, c’est devoir les écouter et les rassurer tout en étant disponible pour des relations sexuelles. C’est être fidèle à un seul homme même si celui-ci n’est pas obligé de respecter les mêmes obligations. C’est devoir accepter de porter des vêtements inconfortables, que ce soit pour préserver les hommes (burqa, niqab) ou au contraire pour les exciter (talons, soutien-gorge). C’est accepter que nos corps sont responsables des actes des hommes. C’est être considérées comme des objets à vendre, acheter et utiliser pour le plaisir des hommes. Le genre féminin est synonyme de soumission, de maltraitance, de responsabilités difficiles à porter et non reconnues.
Le genre féminin n’est pas reconnu comme une oppression par les transactivistes pour diverses raisons. Les hommes autogynéphiles obtiennent une gratification sexuelle à travers la dégradation que représente la féminité. Les femmes transidentifiées sont persuadées d’être différentes des autres femelles, et que nous apprécions d’être soumises à toutes ces règles, contrairement à elles. Les hommes dysphoriques voient un échappatoire à leur mal être dans la féminité. Les femmes transactivistes sont persuadées de pouvoir se libérer en conformant à leur genre de la bonne manière, pensant que les hommes vont les respecter. Tous sont incapables de reconnaître notre souffrance d’être associées à ce genre dont nous ne voulons pas.
Pour résumer : Le genre féminin n’est pas un privilège, il est synonyme d’être une citoyenne de seconde classe et s’y conformer n’apporte pas d’avantages matériels, tangibles, etc. dans notre société.
Être féminine et être femelle
Qu’en est-il de l’alignement entre sexe et genre ? Le genre féminin n’est pas un privilège à porter. Être de sexe femelle n’est pas non plus un privilège dans une société misogyne. Le fait de naître femelle et de se voir assigner au genre féminin est la nature de l’oppression des femmes : notre sexe, considéré inférieur mais essentiel, est assigné à un rôle de soumission, d’obéissance et de satisfaction sexuelle des hommes. Le fait d’avoir un genre assigné au bon sexe ne peut être un privilège que pour les mâles, dont le genre correspond à la croyance selon laquelle leur sexe est supérieur.
On peut donc en conclure que se voir assigner le rôle féminin à la naissance en raison de notre sexe femelle n’est en rien un privilège. C’est une oppression. Si on considère « cisgenre » toute personne dont le genre assigné correspond au sexe, alors cisgenre n’est un privilège que pour les hommes. Le « privilège cisgenre » est en pratique ce que les féministes appellent « l’oppression basée sur le sexe » pour les femmes et le « privilège masculin » pour les hommes. Le « privilège cis » est une supercherie.
Pour résumer : Les femmes ne peuvent pas bénéficier de conformer à un genre qui est oppressif, et ne bénéficient donc d’aucun privilège en étant « cisgenre ».
Regroupement forcé, division forcée
La dichotomie cis/trans a la fonction double de regrouper l’oppresseur et l’opprimée sous le même nom, et de créer une division entre les femmes. Que nous soyons trans ou pas, nous sommes mâles ou femelles, et nous ne pouvons échapper à la socialisation qui nous a été délivrée en fonction de notre sexe.
Le genre est une classe sexuelle. Hors, les hommes et les femmes ne peuvent pas faire partie de la même classe sexuelle, car nous n’avons sur ce plan rien en commun : Tout comme les riches et les pauvres ne peuvent pas faire partie de la même classe économique car l’une exploite l’autre sur l’axe financier, les hommes et les femmes ne peuvent faire partie de la même classe de sexe car ils nous exploitent sur cet axe. Les femmes sont opprimées par les hommes, peu importe l’identité de genre.
Ce rapprochement forcé entre les hommes et les femmes crée une division forcée entre les femmes et les femmes transidentifiées : nous sommes censées comprendre que nous n’avons rien en commun, que l’une oppresse l’autre sur l’axe du sexe, que nous ne pouvons pas nous comprendre et ne vivons pas la même chose. Tout ceci est faux, comme le prouvent toutes les femmes qui sont dysphoriques, butchs, non-conformantes au genre et toutes les femmes transidentifiées qui sont critiques du genre et militent pour leurs droits basés sur le sexe. Nous avons plus en commun les unes avec les autres qu’une femme transidentifiée n’a en commun avec un homme transidentifié, ou qu’une femme n’a en commun avec un homme féminin.
Pour résumer : Les hommes et les femmes ne peuvent pas faire partie de la même classe sexuelle. En pratique, les hommes « cis » oppriment les femmes « cis » et les hommes transidentifiés oppriment les femmes transidentifiées. Le privilège est basé sur le sexe.
Conclusion
La fonction du « privilège cis », en plus de flouter la notion entre sexe et genre et de diviser la classe des femmes entre « cis » et transidentifiées, est de placer les femmes comme oppresseur des hommes. Cette technique de manipulation sert à s’assurer que les femmes se plieront aux exigences des hommes transidentifiés par peur d’être dans la catégorie des oppresseur. En réalité, les hommes transidentifiés sont dans la catégorie des hommes, et restent nos oppresseurs malgré leur transition.
Il n’existe aucun privilège à être une femelle dans notre société patriarcale, et il n’existe aucun privilège à devoir se conformer à la féminité quand on est femelle. Toutes les femmes, transidentifiées ou non, conformantes ou non, seront les cibles du patriarcat, car les hommes haïssent notre sexe, pas le genre qu’ils ont créé pour nous soumettre. Le privilège d’être cis est une vaste blague qui ne reflète rien de concret, car même les femmes qui ne se disent pas trans peuvent vivre une expérience proche des femmes transidentifiées.
[kofi]
CC BY-NC-SA 4.0
2 réponses sur « Pourquoi le « privilège cis » n’existe pas »
J’ai adoré votre article! Felicitations pour ce travail magnifique! Je suis brésilienne et je crois que nous, les féministes qui luttent pour l’abolition du genre, on doit se unir à travers le monde.
Merci beaucoup ! Je pense aussi que les abolitionnistes du genre devraient s’unir, c’est un problème qui touche toutes les femmes.