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Le porno gay, exempt de critiques féministes ?

Les hommes de droite veulent cacher la pornographie, et les hommes de gauche veulent cacher ce qu’elle signifie.
Les deux veulent avoir accès à la pornographie pour que les hommes soient encouragés et énergisés par elle. La droite veut un accès secret ; la gauche veut un accès public.

Andrea Dworkin, Nervous Interview, 1978


Le porno est misogyne, même certains pornographes et activistes queer peuvent l’admettre. Là où le bât blesse, c’est dans le fait d’admettre que ce n’est pas que le porno hétéro qui pose problème et nuit aux femmes, mais que le porno gay a également son rôle à jouer dans le patriarcat.

Aujourd’hui je vous parle des arguments qu’avancent les défenseurs du porno gay, et pourquoi je pense qu’ils ne suffisent pas à considérer cette catégorie porno comme inoffensive. Pour cela, je vais m’appuyer sur plusieurs articles de Têtu, magazine queer co-fondé par Didier Lestrade, également co-fondateur d’Act-Up Paris. Il s’agit d’un média queer mainstream et accessible, qui aborde régulièrement la question du porno et de la prostitution dans ses pages.

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Cet article comprendra des titres pornos, des descriptions de contenu mais pas de citation, et quelques images tirées d’un livret éducatif mais ayant une connotation pornographique. Les images ne seront accessibles qu’en cliquant.

Maintenant que vous êtes averties du sujet et du contenu de l’article, qui devrait rester accessible, attaquons nous à ce qu’on peut lire chez les défenseurs de la pornographie homosexuelle masculine.

« Le porno gay, c’est notre culture »

Ces dernières années, le porno a été vivement critiqué suite à plusieurs rapports réalisés en France qui dénonçaient ses dangers, mais aussi suite à des révélations sur cette industrie. Notamment, les plaintes contre Pascal OP pour abus sexuel ont fait beaucoup de bruit. Aux US, les révélations sur PornHub et l’exploitation qui y prend place, mais aussi sur OnlyFan, on bien fait avancer la cause.

Ce n’est pas au goût de certains militants et journalistes, qui dénoncent une association abusive entre le porno hétéro, qui serait le seul dangereux, et le porno gay, libre d’abus et de stigma. Dans un article critiquant le rapport du Haut Conseil à l’Égalité (HCE) sur les dangers de la pornographie, le journaliste Vincent Daniel rend clair le fait que le porno, pour lui, est indissociable de la culture LGBT :

N’en déplaise au HCE, le porno fait partie intégrante de notre culture LGBTQI+. D’ailleurs, la pornographie, qui a une place dans nos désirs et nos fantasmes, a également su s’inscrire dans nos vies, et notre histoire.

Daniel, V. (2023, septembre 27). Un rapport du Haut conseil à l’égalité dézingue le porno sans rien comprendre à la sexualité gay. Têtu.

Il n’est pas le seul, malheureusement, à utiliser cet argument pour justifier un accès illimité au porno au nom des droits gays. Dans son livre « Gay Male Pornography : an issus of sex discrimination » Kendall analyse un cas légal autour de cette question : La boutique Little Sister qui argumentait que le porno gay ne saurait être restreint au même titre que le porno hétéro car essentiel à la communauté. Kendall cite les arguments de Little Sister, qui s’appuyait sur les discours d’universitaires pro-porno. On y retrouve la même logique :

Il y a des preuves, largement et virtuellement acceptées, que les textes et images sexuelles des gays et lesbiennes, incluant ceux dont l’entrée a été prohibée [par la loi ; ndlt], est vitale à l’identité, la dignité, l’estime de soi, la formation de communautés, la santé et l’éducation des gays et des lesbiennes.

Little Sister Bookstore, cité dans Kendall 2004, p. 47.
Traduction réalisée par mes soins.

Décrire le porno gay comme partie intégrante de la culture homosexuelle permet de justifier sa production, sa circulation et sa consommation librement et sans contrainte. Demander la restriction du porno gay pour des motifs pourtant recevables serait alors de l’homophobie, puisque cela participerait à la mise au placard des gays et lesbiennes.

Un exemple classique du porno-comme-culture est celui de Tom of Finlande, dessinateur gay connu et reconnu mondialement pour ses dessins pornographiques d’hommes ultra virils. Le travail de Tom est protégé et défendu comme une part importante de l’histoire des hommes gays, ce qui est compréhensible, mais cela ne signifie pas qu’il est incritiquable.

La Tom of Finland Foundation, basée à Los Angeles, est dédiée à la conservation de ses œuvres et au soutien des artistes porno queers. De fait, les dessins de Tom bénéficient régulièrement d’expositions dans des musées, et ce dans divers pays. Un vrai marketing est dédié à l’image de Tom, à travers une marque de vodka portant son nom par exemple. Dans une interview accordée à Philippe Cardot concernant une exposition dédiée à Tom of Finland, on peut lire :

Ses œuvres se trouvent aujourd’hui dans les grandes collections internationales. Une exposition consacrée en 2023 à Tom of Finland par le Musée d’art contemporain d’Helsinki a attiré 180 000 visiteurs. On est venu de Rome et du Cap pour la visiter. Tom of Finland est aussi un symbole de la lutte contre l’intolérance, un messager, un pédagogue. Ne disait-il pas avec humour : « Je suis là pour éduquer les hétéros » ?

Cardot, P. (2024, janvier 3). « Le travail de Tom of Finland, par son aspect rebelle et révolutionnaire, a une dimension politique ». Komitid.

Autant le dire tout de suite : le porno n’est une part essentielle d’aucune culture, d’aucune identité, quand-bien même il aurait une signification historique et sociale. Surtout quand il est aussi violent, misogyne, homophobe et raciste qu’il l’est actuellement, comme nous allons le voir.

Premièrement, ce n’est pas du tout la première fois que le porno est considéré comme faisant partie d’une culture. Il est même régulièrement comparé à l’art cinématographique, considéré essentiel pour le bien-être (des hommes, majoritairement) et pour l’épanouissement sexuel. J’y reviendrai. Un bon exemple est présenté dans l’article « Sous couvert de culture, on nous vend du porno » de Karin Bernfeld. La misogynie crasse présentée comme culture, rien de nouveau sous le soleil…

Deuxièmement, il est assez grave de présenter un média raciste, misogyne, bourré de stéréotypes de genres et de violence, qui présente les gays comme une caricature et repose sur des tropes homophobes, comme essentiel à l’identité des gays et lesbiennes. En admettant que le porno représente de nombreuses inégalités, mais en insistant que ces inégalités sont nécessaires au bien-être des gays, les défenseurs du porno gay tombent dans l’homophobie.

Pour se tirer de ce mauvais pas, ils invoquent l’idée que le porno gay serait fondamentalement différent du porno hétéro.

« Notre porno est différent »

Quelque chose que vous comprendrez vite si vous lisez des articles sur le porno gay, c’est que celui-ci semble être miraculeusement épargné par les dynamiques toxiques du porno hétéro. Quand on lui demande de décrire les différences entre porno gay et hétéro, Lestrade répond sans hésitation :

Les rapports de domination et les fantasmes n’y sont pas exactement les mêmes. Bien sûr, il existe des relations de pouvoir très fortes dans la sexualité gay, mais il n’y a pas cet aspect aliénant qui existe dans le porno hétéro, et qui n’est pas sans répercussions aux niveaux psychologique et sexuel. Ce qui a donné à la pornographie une si mauvaise réputation, c’est l’utilisation souvent abusive de la femme dans le porno hétéro.

Lestrade, D. (2022, décembre 22). « Sans le porno, j’aurais craqué » : Entretien avec Didier Lestrade (M. Crochet). Têtu.
Emphase rajoutée par mes soins.

Personnellement, je me sens hautement rassurée de savoir que les rapports de domination ne sont pas exactement les mêmes dans le porno gay que dans le porno hétéro. Quel soulagement de savoir qu’il existe de la nuance dans la domination, j’ai failli croire que c’était la domination elle-même qui causait des problèmes et pas juste certaines formes d’abus de pouvoir.

Plus sérieusement, Lestrade admet qu’il existe des dynamiques de pouvoir « très fortes » dans le porno gay, mais que ce n’est pas aliénant pour autant. On est en droit de se demander pourquoi. Au vu de sa réponse, c’est parce que ce ne sont pas des femmes qui sont utilisées abusivement dans le porno gay.

Certes, la violence envers les femmes est un problème énorme, mais est-ce que la violence sexuelle envers les hommes dans le porno gay n’en est pas un ? Est-ce qu’être du même sexe serait une protection contre l’abus selon lui ?

Questionné sur le « revenge porn », qui consiste à diffuser des images privées et sexuelles sans le consentement de la personne, Lestrade indique que pour lui le porno gay n’est pas tellement concerné. Selon lui, les reproches fait au porno gay et hétéro ne sont pas les mêmes car le porno gay est plus sécuritaire et respectueux de l’autre. Comme les gays sont marginalisés, ils se respectent mutuellement, une affirmation que sa défense du porno racial remet sérieusement en question.

Certains, évidemment, peuvent faire ce genre de conneries, mais, dans la communauté LGBTQI+, il y a une solidarité, les gens essaient de faire attention aux autres. Et puis, avec des décennies de saunas et de backrooms, on en sait des choses sur la sexualité des autres. C’est pourquoi, dans le monde hétéro, le revenge porn prend une autre ampleur. De la même manière, les reproches faits au porno hétéro ne sont pas les mêmes que ceux adressés au porno gay, car on a une expérience de la protection, de la nôtre et de celle des autres.

Lestrade, D. (2022, décembre 22). « Sans le porno, j’aurais craqué » : Entretien avec Didier Lestrade (M. Crochet). Têtu.

En réalité les féministes reprochent la même chose à toutes les formes de porno : inégalité, violence, stéréotypes de genre, racisme érotisés pour le plaisir sexuel du consommateur. Mais aussi exploitation des personnes vulnérables pour produire les films, non respect du consentement, mise en danger des acteurs et actrices par les actes sexuels demandés et l’exposition aux IST, etc.

Pendant ce temps, l’article « Porno : le retour des censeurs » publié sur Têtu, qui critique le rapport « Porno, l’Enfer du Décor » nous rassure sur ses intentions après avoir vivement critiqué toutes les propositions des sénatrices :

Soyons clairs : il ne s’agit pas de minimiser la “culture viriliste de la sexualité des hommes [hétéros], qui passe par la domination sexuelle des femmes”, et que dénoncent à raison les sénatrices.

Scheffer, N. (2022, décembre 22). Porno : Le retour des censeurs. Têtu.
Emphase rajoutée par mes soins.

Dans cet extrait qu’il reprend en partie du rapport, le journaliste s’est senti obligé de rajouté la mention « hétéro » entre crochets, indiquant s’il était nécessaire qu’il considère inutile de questionner la culture viriliste de la sexualité des hommes gays. Qui, malheureusement pour nous, passe aussi par la domination sexuelle des femmes, même si d’une manière détournée.

Est-ce que le porno gay est si différent du porno hétéro ? Non.

Bien qu’il n’y ait pas de femmes actrices dans le porno gay, beaucoup d’éléments de la domination masculine y sont bien : érotisation de l’inégalité entre les partenaires, érotisation de la violence, érotisation des rôles genrés, érotisation de la supériorité masculine, etc. Que des éléments qui portent préjudice aux femmes dans un monde qui encourage déjà ces pratiques à nos dépends.

L’imaginaire pornographique gay valorise ainsi, de manière radicalement stéréotypée, ce que doit être un homme, très généralement «top» (actif), le dominant qui pénètre avec son sexe ou son poing la bouche ou l’anus de son partenaire, le dominé, traité de «petite salope», «trou à bites», encouragé à ouvrir grand «sa chatte», ramené au féminin dans ce qu’il aurait de plus haïssable.

Pierre-Brossolette, S., Piques, C., Plouet, A., Callen, P., Supau, E., & Llopis, M. (2023). PORNOCRIMINALITÉ : Mettons fin à l’impunité de l’industrie pornographique. Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.
p. 35

Pour être réellement différent du porno hétéro, le porno gay devrait montrer des relations égalitaires, ancrées dans la mutualité et le partage de plaisir. A la place, on retrouve la même catégorisation des acteurs par mots-clés, et les mêmes catégories que dans le porno hétéro : des noirs agressifs à gros pénis, des asiatiques passifs, des relations incestueuses ou avec grand écart d’âge, des viols, etc.

La pornographie de Tom of Finland, décrite comme « rebelle et révolutionnaire », « revendicative en lien direct avec les luttes pour les droits civiques LGBT+ et antiracistes, entre autres » n’est pas si progressiste que ça. Le respect et l’amour dont parle Cardot dans son interview sont difficiles à voir au milieu des hommes hyper-virils, en tenues de policiers ou de nazis. Ses dessins sont félicités pour avoir permit aux hommes gays de « se réapproprier tous les symboles d’une forme de masculinité qui leur avait été déniés », mais qu’il a-t-il de révolutionnaire dans la représentation d’hommes virils, qu’ils soient gays ou hétéros ?

Le but du féminisme est de créer une culture de l’égalité entre partenaires pour réduire les violences faites aux femmes. En basant leur porno sur cette inégalité, en reproduisant les codes du porno hétéro à la lettre, le porno gay n’a rien de révolutionnaire et n’est qu’un outil de plus dans la boîte à outil du patriarcat.

On ne peut lutter contre l’inégalité et la violence si on en tire du plaisir sexuel, et c’est ce que font les hommes gays, tout autant que les hommes hétérosexuels.

« Vous ne comprenez pas notre porno »

Maintenant que j’ai décrit pourquoi je ne considère pas le porno gay comme particulièrement révolutionnaire, anti-patriarcal ou autre, je vais vous montrer pourquoi les hommes gays qui défendent le porno pensent que je me trompe. Parce que si je suis contre le porno gay, ce n’est pas parce que j’ai fait mes recherches, c’est forcément parce que je ne comprends pas de quoi je parle.

A titre d’exemple, voici l’introduction de l’interview de Didier Lestrade par Morgan Crochet, qui avait notamment pour but de faire la promotion de son ouvrage sur le porno gay :

À l’heure où le spectre d’une interdiction plane de nouveau sur nos tubes, Didier Lestrade, l’auteur d’I Love Porn, l’un des rares ouvrages sur le porno gay, a accepté de répondre à nos questions. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en matière de pornographie les passionnés ont largement plus à dire que les censeurs, lesquels brillent par leur ignorance de cette niche du 7 art qui a inondé nos vies.

Lestrade, D. (2022, décembre 22). « Sans le porno, j’aurais craqué » : Entretien avec Didier Lestrade (M. Crochet). Têtu.
Emphase rajoutée par mes soins.

Ignorons deux secondes l’insulte que représente cette phrase pour les survivantes de l’industrie porno-prostitutionnelle. Les hommes gays qui défendent leur précieuse pornographie accusent souvent les féministes de ne rien comprendre aux subtilités de leur érotisme, ô si différent de la pornographie hétéro. Car certes, il y a des inégalités dans le porno gay, mais c’est quand même différent (d’après eux). Dans un article intitulé « Un rapport du Haut conseil à l’égalité dézingue le porno sans rien comprendre à la sexualité gay », le journaliste s’énerve de l’incompétence qu’il attribue aux rédactrices du rapport du HCE :

La libération sexuelle de 1968 n’a plus qu’à se rhabiller. Dans le cadre du projet de loi pour « sécuriser et réguler l’espace numérique », le Haut conseil à l’égalité (HCE), lieu de réflexion pour évaluer les textes en préparation, a rendu ce mercredi à Bérangère Couillard, la ministre de l’Égalité, un rapport concernant l’industrie du porno. Aussi, derrière l’objectif évidemment louable de lutter contre les violences faites aux femmes, ce texte remet la sexualité gay dans le placard.

Daniel, V. (2023, septembre 27). Un rapport du Haut conseil à l’égalité dézingue le porno sans rien comprendre à la sexualité gay. Têtu.

Selon lui, quand les autrices dénoncent des pratiques comme le bukkake, qui consiste à éjaculer à plusieurs hommes (parfois cent) sur une femme, ou sur les relations top-bottom qui sont représentées sous l’angle de la domination sexuelle, il s’agit d’un « rare niveau d’ignorance et de stigmatisation de nos sexualités ». Citant une description des relations de domination faite par le rapport, il rajoute que le HCE « n’a pas visionné de vidéos mettant en scène des power bottoms », confirmant qu’il ne comprends pas (ou fais bien semblant) de quoi il est réellement question.

Selon ce journaliste, lutter contre le porno c’est lutter contre la sexualité des hommes gays. Cette équation n’est pas nouvelle, quand on lutte contre la pornographie, on finit invariablement par être accusées de détester le sexe. Pourtant, quelle réduction pour le sexe, gay ou hétéro, d’en être réduit à ce que proposent et vendent les pornographes. Je ne pense pas qu’il soit si radical que ça d’affirmer que la sexualité gay peut exister sans pornographie, et pourtant.

Plus loin dans le même article, on peut lire que les autrices n’ont rien compris à la dynamique des « daddy » gays, qui ne feraient pas du tout un rapprochement avec l’inceste, contrairement au porno hététo. Citant le rapport, il accuse les autrices de manquer de second degré, ce que je souligne parce que c’est une accusation classique :

Le même schéma se reproduit sur nos chers daddy. Le rapport se plante allègrement, prenant au premier degré les titres des vidéos : « Le ‘porno gay’ n’est, comme dans la pornographie qui cible un public hétérosexuel, pas exempt non plus de représentations d’inceste (‘beau-papa suce la grosse bite de son fiston’, ‘sandwich à papa’ sont des titres largement disponibles) ou de violences sexuelles commises contre des enfants.« 

Daniel, V. (2023, septembre 27). Un rapport du Haut conseil à l’égalité dézingue le porno sans rien comprendre à la sexualité gay. Têtu.

Je dois également manquer d’une grande subtilité d’esprit ou d’un sens de l’humour normalement développé parce que quand je lis les titres cités, je n’y vois pas grand chose de différent de ce qu’on retrouve dans le porno incestueux hétéro. Je suis sûre, après tout, que quand un homme clique sur une vidéo s’intitulant « beau-papa suce la grosse bite de son fiston », il s’attend à tout autre chose.

N’en déplaise aux hommes gays, la lutte contre l’inceste et la domination sexuelle sont des essentiels du féminisme. Et comme il s’agit d’une culture, nous ne pouvons pas laisser les hommes gays être l’exception à la lutte contre l’abus sexuel des enfants. En tant que femme bisexuelle, je me sens particulièrement concernée par la lutte contre l’abus au sein des couples de même sexe.

Heureusement, tous les hommes gays ne défendent pas ces valeurs, même si les médias ne leur donnent pas beaucoup la parole. Dans son livre, Kendall critique cette défense faite du porno incestueux, argumentant que les titres et les histoires présentées jouent sur le stéréotype homophobe du gay violeur d’enfants. Les exemples de titres qu’il partage sont accablants :

Au nom de l’identité, on nous offre des représentations dans lesquelles les hommes gays sexualisent l’inceste et le sexe avec des enfants, renforçant le stéréotype que les hommes gays « recrutent » en abusant sexuellement des enfants. Avec des titres comme « Un prêtre avec des couilles de taureau », une histoire dans laquelle un jeune garçon raconte sa première expérience sexuelle avec son prêtre, « Un marin du Dakota du Sud baise un garçon de Boston dans la bouche », « Un jeune laisse son prêtre jouer avec sa bite », « Des conservateurs du Dakota du Sud insultent un jeune de pédé en le violant », « Un jeune suce son frère », « Un garçon suce un soldat marié dans une remise » et « J’ai été un vagin de substitution », les hommes gays donnent l’impression de révéler leur « initiation » à la sexualité en tant qu’enfants à travers des agressions sexuelles décrites graphiquement et perpétrées par des pères, des oncles et des grands frères.

Kendall 2004, p. 61
Traduction et emphase par mes soins.

La défense de l’inceste par les hommes gays n’est pas nouvelle (voir la NAMBLA aux USA), mais elle a historiquement été critiquée par les lesbiennes. La droite adore dire que les homosexuels sont des pédophiles, mais la réalité est que la pédocriminalité est majoritairement le fait d’hommes. Que ces hommes soient attirés par les filles ou les garçon ne fais pas grande différence.

Au final, de nombreux jeunes gays sont victimes d’abus sexuels et d’inceste pendant leur enfance, et ils méritent d’être protégés. Ils ne le seront pas par des médias comme Têtu, dont le co-fondateur se vante sur Twitter de baiser avec un « kid prolo de 19 ans » alors qu’il en a 60. Bien sûr, quand de nombreuses personnes ont exprimé leur dégoût, elles ont été accusées d’homophobie.

Quelques temps plus tard, Têtu publiait un article ventant les relations des jeunes avec des « daddys », autrement dit des hommes beaucoup plus âgés qu’eux…

« Le porno, c’est aussi notre éducation sexuelle »

Le porno est souvent qualifié d’éducation à la sexualité pour les jeunes qui manquent de ressources. Et à défaut, le porno est présenté comme le canari dans la mine pour l’éducation sexuelle des gays. Même quand il n’est pas présenté comme essentiel en soi, la restriction de l’accès au porno ou de sa diffusion est assez systématiquement liée à un danger pour les jeunes LGBT : les supports éducatifs seront censurés, ils perdront de la visibilité, les jeunes risquent de sombrer, etc.

Dans une tribune intitulée « Le climat anti-porno nuit à la santé sexuelle, alertent Act Up-Paris et la Quadrature du net », des associations défendent l’idée que pénaliser le porno mènera à la suppression du contenu éducatif pour les jeunes LGBT :

Alors que des informations erronées circulent massivement sur les réseaux sociaux et propagent des préjugés sur la santé sexuelle, il est nécessaire que le projet de loi SREN ne nous empêche pas de remplir notre mission. Notamment auprès des jeunes, dont 67% déclarent ne pas avoir bénéficié des trois séances annuelles d’éducation à la sexualité. À cause des défaillances de l’Éducation nationale à remplir sa mission, internet devient alors une source d’accès à l’information incontournable en santé sexuelle pour les jeunes. On ne peut prendre le risque de les en priver.

Tribune. (2023, avril 4). Le climat anti-porno nuit à la santé sexuelle, alertent Act Up-Paris et la Quadrature du net. Têtu.

Il est important de préciser que parmi les signataires, on retrouve notamment le STRASS, Médecins du Monde, Grisélidis, Fédération Parapluie Rouge et Acceptess-T, entre autres. Toutes ces associations sont pour une dépénalisation totale de la marchandisation d’êtres humains pour l’industrie du sexe, tout en se présentant comme des associations par et pour les personnes prostituées. La Fédération Parapluie Rouge regroupe par ailleurs plusieurs des associations déjà citées, dont Acceptess-T et Grisélidis. Et je rappelle que cette tribune, publiée par Têtu, est écrite à l’origine par Act-up, tous deux créés par Lestrade.

D’autres articles du site font cette association entre éducation sexuelle et accès au contenu pornographique. Qualifié d »outil d’éducation sexuelle » par Nicolas Scheffer, le X est décrit comme un moyen pédagogique salvateur pour les jeunes gays en questionnement. L’objectif de protection des jeunes est, lui, présenté comme un simple prétexte par les critiques de la pornographie :

En effet, le gouvernement, appuyé par un rapport sénatorial, a bien l’intention de compliquer fortement l’accès au porno sur internet, et ce au prétexte de la protection de la jeunesse et de la lutte contre les violences patriarcales.
[…]
Pourtant, le X a permis à de nombreux ados d’interroger et d’explorer leurs désirs, le temps de comprendre et d’accepter leur orientation sexuelle.

Scheffer, N. (2022, décembre 22). Porno : Le retour des censeurs. Têtu.
Emphase rajoutée par mes soins.

Je ne vais pas revenir sur le fait que le porno est dangereux pour les jeunes, surtout s’ils découvrent leur sexualité par ce biais. Il y a de nombreuses études qui montrent que l’exposition au porno a un impact négatif sur le cerveau, et que la consommation régulière de pornographie altère la vision du sexe et de l’intimité. C’est vrai aussi pour les jeunes gays, qui sont justement particulièrement vulnérables et méritent d’être protégés. Pourtant, le journaliste affirme l’inverse :

D’autant que tout le monde s’accorde à dire que cela [l’accès au porno pour les jeunes de 15 ans et plus ; ndlr] pourrait s’accompagner d’une éducation à déconstruire les stéréotypes.

Scheffer, N. (2022, décembre 22). Porno : Le retour des censeurs. Têtu.
Emphase rajoutée par mes soins.

Les jeunes gays ont besoin d’une éducation sexuelle, comme tous les jeunes qui découvrent la sexualité. Ils en ont d’autant plus besoin que, comme les lesbiennes, ils ne grandissent pas dans leur communauté. Recevoir de l’aide et des conseils peut s’avérer difficile quand l’entourage est étranger à ces questions, surtout qu’il peut être hostile. Avoir accès à des informations fiables, positives et sécurisantes est un réel enjeu pour la communauté homosexuelle.

Le porno ne remplit pas ce rôle. Au contraire. Qu’il soit homosexuel ou hétérosexuel, il utilise les mêmes codes et repose sur l’exploitation de personnes vulnérables. C’est une industrie, pas une éducation. Les ressources d’éducation que j’ai pu trouver pour les hommes gays ont tendance à reposer sur l’esthétique porno dans leur vocabulaire et les images choisies. Un exemple est le livret « Amour, Sexe, Prévention : Le guide de la sexualité gay » édité par ENIPSE en 2023.

Présentant la photo d’un homme entièrement nu de dos dès le sommaire, le livret s’adresse à ses lecteurs avec un vocabulaire volontairement familier voir vulgaire : ma queue, mes couilles pour parler du corps, le trou du cul sur une planche d’anatomie, etc. Foisonnant d’images qui semblent sortir directement d’un magazine porno ou érotique, le livret a également cinq pages dédiées à la découverte du BDSM. Dedans, on peut en apprendre plus sur les jeux scatophiles, sur le « puppy-play » ou sur les « jeux » dangereux à base d’aiguilles et de tirage de testicules.

(Dans ce livret, on peut aussi noter la présence d’une femme trans-identifiée sur la couverture ainsi qu’une page dédiée à l’inclusion de ces femmes dans les espaces gays car « c’est au courage des personnes trans que nous devons la première révolte en 1969 à New York, ce qui est devenu la Marche des Fiertés, également appelée Gay Pride. »)

L’utilisation de l’imagerie porno dans les supports éducatifs ou préventifs à destination des hommes gays n’est pas nouvelle. Kendall en parle dans son livre, expliquant quel est le problème de cette pratique :

Les ressources éducatives sur le VIH/SIDA qui visent la communauté des hommes gays utilise presque invariablement des images de jeunes hommes blancs hyper-fit, hyper-masculins et hyper-« mâles ». Récemment, un flyer distribué par le West Australian HIV Council, montrait le torse musclé d’un jeune homme posant en caleçon Calvin-Klein, les contours de son pénis en demi-érection clairement visible.
[…] L’efficacité de ces images comme méthode d’éducation des hommes gays sur le sujet du VIH et de la transmission du SIDA doit être remise en question. Des analyse de ce message et d’autres qui lui ressemblent en disent long sur la manière de ce à quoi les hommes gays sont censés ressembler, penser et agir concernant leur identité sexuelle. C’est particulièrement évident quand on examine ce qu’est le sexe « safe » et ce qu’il nécessite.

Kendall 2004, p. 148

Quand au problème de censure des supports éducatifs LGBT, il doit se régler sérieusement sans reposer sur l’accès au porno. Ce n’est pas parce qu’il existe un biais homophobe qui pénalise des informations importantes qu’il faut régler le problème en défendant l’accès à du contenu sexuellement violent et oppressif, à l’antithèse de ce que l’on veut enseigner aux jeunes en manière de sexualité.

D’ailleurs, alors que certaines associations s’inquiètent assez justement du danger de l’exploitation des données pour réguler l’âge d’accessibilité aux sites porno, personne ne semble s’être dit qu’une régulation massive de la distribution du porno ne poserait pas ces problèmes.

S’il manque effectivement un accès aux ressources éducatives sur la sexualité entre hommes, la sécurité par rapport au VIH/SIDA et le bien-être affectif, on peut se demande quel rôle joue le porno à ce niveau. Les débats sur le port du préservatif et la mode du « bareback » (sans protection) dans le porno gay indiquent que pour certains, le danger fait partie intégrante du sexe, donc en quoi visionner ces vidéos serait éducatif ?

De même, l’équation faite entre préservatif et sécurité dans le contenu éducatif pour les gays est très limite. La sécurité dans la sexualité ne peut être résumée au port d’une capote. Il est important de parler de bien-être, de consentement, de respect et d’égalité. Des notions que, je pense, le porno ne peut pas espérer apporter.

La question à laquelle nous n’avons toujours pas de réponse à l’heure actuelle est, pourquoi le porno ? Si les jeunes gays ont besoin de savoir que le sexe gay existe, qu’est-il arrivé à la libération homosexuelle pour que la sexualité gay qu’on leur offre soit celle créée par et pour les pornographes ? Plus important, peut-être que nous devons nous demander pourquoi le sexe gay, comme vendu par le porno, ressemble beaucoup au sexe hétérosexuel qui résulte en la haine homophobe que nous connaissons, et en quoi ceci est censé construire notre sécurité et notre estime de soi.

Kendall 2004, p. 160

On est en droit de se demander pourquoi les jeunes gays devraient se contenter du porno comme éducation sexuelle, et pourquoi ils ne mériteraient pas mieux de la part de leurs ainés. Alors que les pro-porno nous accusent d’être contre toute représentation de la sexualité, les féministes qui luttent contre le porno font une différence entre le contenu éducatif, érotique et pornographique.

Il est temps que les défenseurs du porno fassent de même et réalisent que confondre porno avec sexualité, porno avec éducation, porno avec érotisme n’est que mauvaise foi.

Le porno gay, un outil de libération ?

Objet de culture, incompris des féministes, essentiel à l’identité homosexuelle et à l’éducation des jeunes, le porno est présenté comme un outil de libération des gays face à l’invisibilisation. Je m’oppose fermement à cette affirmation, pour toutes les raisons présentées plus haut et plus encore.

Je ne pense pas que la libération homosexuelle dépend de la libre production et distribution du porno. Au-delà de la logique capitaliste de cette affirmation, prétendre que la libération viendra de la pornographie nécessite d’entretenir de nombreux mythes. Par exemple, le mythe que la pornographie est non seulement inoffensive mais positive pour les gens qui y participent et qui en consomment.

On retrouve aussi le mythe d’un libération de la sexualité, ou de la « pornographie-miroir », qui ne serait qu’un reflet de la société. Ces arguments présentent le porno comme un monde d’idées et non la réalité d’hommes et de femmes qui se font pénétrer, insulter, frapper pour de l’argent devant une caméra. Le porno ne serait alors qu’un symptôme de la société, et le réguler ne ferait que masquer la réalité.

Un bon exemple de ce type de réflexion provient du sociologue Florian Vörös, dont on retrouve des interventions dans plusieurs articles que j’ai cités. Il a lui-même démissionné du HCE après avoir été écarté de plusieurs projets, et a écrit de nombreux articles sur la pornographie. Il est également de co-auteur d’un article décrivant le rapport du HCE sur le porno comme une « dérive autoritaire », ce qui en dit long sur le personnage.

Parmi les nombreux détracteurs du porno, on compte également les mouvements abolitionnistes, qui l’accusent d’être le bras armé de la culture du viol. Or “le fantasme est une activité subconsciente, conditionnée par l’environnement socioculturel, qui nous confronte à l’emprise psychoactive des rapports de sexe, de race et de classe”, développe Florian Vörös. Autrement dit, le porno n’est qu’une manifestation des rapports de domination et permet de les reproduire dans un espace fictif pour, éventuellement, s’en libérer.

Scheffer, N. (2022, décembre 22). Porno : Le retour des censeurs. Têtu.

Dans cet extrait, on peut observer un magnifique exemple de word-salad, dont le but est de nous embrouiller sur ce qu’il veut dire. Le fantasme est effectivement conditionné par notre environnement, mais il ne nous confronte pas spécialement à l’emprise des biais de cet environnement, il a plutôt tendance à nous faire baigner dedans sans le remettre en question. Contrairement à ce que conclut Nicolas Scheffer, le fait de reproduire les dynamiques de domination à travers le porno ne permet absolument pas de s’en libérer. Cela signifie juste qu’en plus de les reproduire, on se conditionne à les trouver désirables.

Quand un film porno montre un homme noir pénétrer violemment un homme blanc et l’insulter, ça ne remet pas en question le racisme, pas plus qu’un un jeune homme se faisant traiter de salope par un homme musclé ne remet en question la domination machiste. Pour qu’une inversion des rôles existe, il faut des rôles, et c’est ce que les féministes critiquent dans les représentations que donne le porno.

Didier Lestrade, lui-même adepte du porno interracial*, balaye ces considérations d’une simple phrase, assénant que de toute façon tout est un fétiche et que le porno permet de sortir des clichés. Comment ? Encore une fois, aucune élaboration. Sans doute parce qu’il préfère les vidéos avec des hommes noirs qui esclavagent des hommes blancs plutôt que l’inverse…

Il y a du fétichisme, une fétichisation des ethnies, etc., mais tout est fétiche aujourd’hui. On ne va pas, en 2022, revenir sur cette idée et se demander si le fantasme ou le fétiche sont légitimes ou non. Les trois quarts du temps, à partir du moment où l’on n’est pas dans la dégradation de l’autre, le fantasme, dans les relations interraciales, est partagé. Et je crois que la pornographie permet au contraire de sortir des clichés.

Lestrade, D. (2022, décembre 22). « Sans le porno, j’aurais craqué » : Entretien avec Didier Lestrade (M. Crochet). Têtu.

Mais où est le respect de l’autre dans un porno qui érotise l’esclavage, que ce soit un homme blanc ou noir la victime ? Comment peut-il affirmer qu’il n’y a pas dégradation quand les insultes fusent ? Et pourquoi ne peut-on se poser la question de la légitimité d’un fantasme ? La vision du porno de ces hommes semble indiquer que rien n’est hors limite, que tout est acceptable tant qu’il s’agit de sexe gay. Ce que moi et de nombreuses féministes mais aussi militants gays remettons en question.

La défense du porno par les gays mérite l’attention des féministes

Quand j’ai annoncé l’écriture de cet article sur mon compte Instagram, j’ai reçu un message d’un homme gay me demandant si j’étais vraiment à ma place de parler de ce sujet, si je n’avais pas assez à faire avec le porno hétéro. La réalité, c’est que le porno gay menace également les droits des femmes par son existence.

Quand les activistes critiquent et bloquent toute tentative des femmes de réguler la production, la distribution et la consommation de pornographie au nom de leur culture et de leurs droits, nous avons un devoir de nous y opposer. C’est le moment où l’on quitte le terrain du débat théorique pour entrer dans le champ du réel. De vraies femmes sont abusées, de vrais hommes sont abusés. Que les gays luttent contre les tentatives de les aider au nom de leur orgasme est un réflexe masculin, et je pense que nous devons les dénoncer comme tels.

De nombreux principes défendus dans les articles de Têtu et par les défenseurs du porno en général sont à l’antithèse de ce que défendent les féministes, et représentent un obstacle culturel et militant. Pourtant, de nombreuses femmes ont peur d’être qualifiées d’homophobes quand elles critiquent le porno gay, alors que leur critique ne repose pas sur l’homosexualité du contenu mais sur sa violence, son objectification d’autrui, son érotisation des rapports de force. Nous avons le droit de critiquer ce que nous reconnaissons comme une menace.

Didier Lestrade, qui écrit que « Baiser dans des endroits publics, c’est aussi le symbole d’une certaine indépendance de l’homosexualité vis-à-vis des règles de la société, indépendance qui est depuis toujours la base de la communauté LGBTQI+. C’est-à-dire qu’on est là pour faire avancer la société par rapport à certaines choses. », n’est pas un allié féministe, et son livre I Love Porn en est une preuve. Ses idées rétrogrades méritent critique, de la part de la communauté homosexuelle mais aussi des féministes.

Le porno gay devient notre problème quand des magazines comme Têtu qualifient toutes nos tentatives de réduire les dommages lié au porno d’infaisables, homophobes, provenant d’une ignorance de la culture des gays et risquant de faire du mal aux jeunes. Il est un problème quand des tribunes pour mettre en garde contre les tentatives de réguler la pornographie sont signées par des proxénètes, et que nos inquiétudes légitimes sont qualifiées de « prétendues », sous-entendant que s’inquiéter du porno est réservé à la droite moralisatrice.

“Les rapports institutionnels voient le porno comme un problème en soi. Mais que des personnes majeures et consentantes pratiquent du sexe devant une caméra n’est pas moralement répréhensible, quelles que soient leurs pratiques”

Florian Vörös, cité par Scheffer, N. (2022, décembre 22). Porno : Le retour des censeurs. Têtu.

Mais contrairement à ce qu’avance Florian Vörös, il n’y a aucunement besoin de se raccrocher à une « morale » pour critiquer le porno. Le tort causé suffit largement, ne lui en déplaise. Les conséquences sur la vie sexuelle des consommateurs, sur l’image de la sexualité que le porno véhicule, sur les acteurs et actrices sont des arguments suffisants.

Le problème n’a jamais vraiment été ce que font « des personnes majeures et consentantes » devant une caméra. Le problème est dans l’exploitation sexuelle, la diffusion illimitée d’un contenu sans aucune possibilité de le faire disparaître, l’abus inhérent à l’industrie, la prostitution dont fait partie le porno, les représentations patriarcales du sexe. Mais le débat est constamment ramené à l’idée du porno, plutôt qu’à ce qui s’y passe vraiment.

Bien que les queers essayent de nous faire croire que le porno gay est anti-système car représentant l’homosexualité hors du cadre du couple hétéro monogame, ils se trompent lourdement. Il n’y a rien de progressiste à renforcer l’idée du gay prédateur, de l’homme hyper-viril, du « bottom » efféminé, du noir agressif, etc.

Dans le même article, le journaliste s’insurge des mots utilisés par une survivante témoignant de son expérience et qui qualifie les gang bang et bukkake de « contre-nature ». Prêtant ces mots aux autrices du rapport, il fait un lien avec la condamnation morale des homosexuels, affirmant qu’il n’est pas possible pour la communauté queer d’accepter que certaines pratiques sexuelles soient « disqualifiées ». Pourtant, c’est plus qu’acceptable, c’est nécessaire.

Bien que l’exploration de nos sexualités soit une part importante du développement de nos communautés, la conclusion n’en est pas que le désir d’autrui serait inviolable. Nous ne soutenons pas le désir qui se réalise dans la pratique du viol, et ce peu importe à quel point le viol serait excitant pour les violeurs. Il y a clairement des expressions acceptables et inacceptables du désir. Ses effets sur les vies et les droits d’autrui sont une limitation claire.

Body Politic Collective, « 31 Words », Avril 1985, p. 31.
Traduction et emphase par mes soins.

Ici, le porno gay affecte les vies et les droits des femmes, notamment à vivre dans un monde sans violence genrée et sans exploitation sexuelle. Mais les droits des gays à vivre dans un monde sans homophobie et sans violences sexuelles sont également bafoués.

Conclusion

Il est normal que les féministes se concentrent sur l’abolition du porno qui représente des femmes, mais nous sommes concernées par toutes les formes de pornographies, qu’elles soient pour les hommes gays ou hétéros. La proportion grandissante de femmes qui regardent du porno gay est la preuve que nous ne pouvons pas laisser ce sujet totalement de côté.

Les gays défendent bec et ongles leur porno, affirmant qu’il est éthique, égalitaire, essentiel à leur culture et leur survie, à leur éducation et à leur communauté. Les lesbiennes ont pourtant réussi à vivre et à créer des communautés sans porno, critiquant celles qui en produisaient ou reproduisaient la culture toxique gay comme le sadomasochisme par exemple. Des communautés homosexuelles ont existé avant le porno, et elles continueront d’exister après, parce que le porno n’est pas nécessaire.

Bien qu’il faille défendre l’éducation sexuelle et le droit à la liberté d’expression des gays et lesbiennes, le porno n’en fait pas partie. Le porno n’a rien à voir avec le développement d’une sexualité saine et mutuelle, hors des schémas de domination, peu importe que cette sexualité soit monogame ou pas, et sans jugement sur les actes sexuels que les gays choisissent. Il n’a rien à voir avec le droit d’exprimer un avis dissident, avec le droit d’être protégé des insultes et des coups, ou avec le droit d’exister en public sans avoir à se cacher.

Je terminerai cet article long en citations par un mot de Kendall sur ses espoirs sur la sexualité en tant qu’homme gay :

Ce que je souhaite serait une sexualité entre hommes gays qui inclurait et serait la compassion, la sensualité, la tendresse, l’intimité, l’amour inclusif, et l’égalité qu’on ne trouve que dans une réciprocité positive qui ne dépend pas de préjudice réciproque.

Kendall 2004, p. xix

*Pour vous en convaincre, je ne peux que vous recommander son livre, dans lequel il rend clair son fétiche pour les hommes noirs. On peut y lire que l’absence d’hommes noirs dans le porno est lié à l’impérialisme, que les blancs n’insultent pas les noirs dans le porno (mdr) et qu’il est jaloux des gays qui font du tourisme sexuel.

CC BY-NC-SA 4.0

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