John Money (né le 8 juillet 1921 et mort le 7 juillet 2006) est un psychologue et sexologue néo-zélandais. Il a notamment introduit les termes de paraphilie et de « rôle de genre » (gender role) qui sera repris par la suite dans le cadre des études de genre mais avec une acception différente. Il a été sévèrement critiqué pour l’opération chirurgicale de réattribution sexuelle réalisée sur David Reimer, alors âgé de 22 mois et qui le poussera au suicide une fois devenu adulte.
Être cisgenre est quelque chose de neutre, tout comme d’être homosexuel. Il s’agit d’un simple descriptif qui permet de savoir qu’une personne n’est pas transgenre, qu’elle est en accord avec son genre et son sexe assigné à la naissance. Comme les personnes trans subissent des violences en raison de leur identité, les personnes cis sont privilégiées et doivent faire en sorte de réduire le stigma autour des personnes transgenres.
De nos jours, plus personne ne questionne l’étiquette cisgenre. Et au premier abord, c’est vrai que ce mot paraît inoffensif : il décrit simplement le fait de ne pas être trans. Être cis est donc un privilège, tout comme le fait d’être un homme, d’être hétéro…
Dans cet article, je vais remettre tout ceci en question et proposer une approche différente : le concept de cisgenre n’est pas neutre, pas objectif, et participe à l’oppression de la classe des femmes.
L’origine de cisgenre
Cisgenre est un terme qui est censé décrire l’inverse de trans. Je vais vous expliquer pourquoi, malgré une bonne intention de base, rien que ceci est problématique.
Lorsqu’on parle de sexualité, on réalise qu’il y a trois comportement possible du fait de l’existence de deux sexes : Être attiré par le même sexe, être attiré par l’autre sexe, être attiré par les deux sexes (et ne pas ressentir d’attirance mais c’est une négation). On peut donc observer ces trois comportements, et leur donner un nom. Homosexuel, hétérosexuel, bisexuel. Les uns existent indépendamment des autres.
Avec le concept de cisgenre, ce n’est pas pareil. On n’observe pas une partie de la population dont le corps correspond à l’identité de genre, et une partie pour laquelle les deux ne sont pas en adéquation. Le concept de genre étant indéfinissable (on parle soit de construction sociale soit d’identité interne), on ne peut pas l’observer dans une population.
En revanche, on a remarqué une partie de la population qui souhaite changer de sexe ou de genre perçu pour se sentir mieux par rapport à elle-même et par rapport au reste de la société. D’abord des hommes homosexuels qui s’habillaient en femmes (travestis), puis des sujets qui subissaient des chirurgies pour paraître comme l’autre sexe (transsexuels), et désormais des individus qui souhaitent changer de genre social ou subir une chirurgie (transgenre). Le concept a pas mal évolué, et pour éviter de définir les non-trans de « normaux », le mot « cisgenre » a commencé à être utilisé.
La conséquence est que le concept de « cis » dépends du concept de « trans » pour exister. Ce qui veut dire que si la définition de trans change, la définition de cis aussi. Or, à l’heure actuelle, trans est un terme parapluie qui s’applique à toute personne qui est mécontente de son genre/sexe assigné, et/ou qui souhaite en changer. Une personne cis est donc une personne qui est en adéquation avec son genre/sexe assigné et qui ne souhaite pas en changer.
Je vais faire la traduction pour vous : cela signifie qu’une femme « cis » est une femme (femelle adulte humaine) qui est en adéquation avec le genre féminin consistant à être mal payée, à avoir des enfants et à les élever, à rester à la maison, à s’épiler et se maquiller, etc. Tout ceci vient naturellement et fait partie de l’identité de cette femme, et elle est en symbiose avec tout ces éléments, il n’y a pas de dysbiose, pas de désaccord. Voilà ce qu’est une femme cisgenre : une femme qui correspond aux stéréotypes de genre forcés sur les femmes avant même leur naissance en raison de leur sexe. Une femme dont l’identité interne correspond à ce que les hommes attendent d’elle et aux moyens utilisés pour lui faire garder une place inférieure dans la société.
Confusion des sexes
La notion de « cis » implique qu’une femme est une personne dont l’identité est d’être une femme (ce qui est un sophisme de pensée circulaire), peu importe le sexe. On se retrouve donc avec des femmes de sexe femelle (les cis) et de sexe mâle (les trans). Et ces deux catégories sont des femmes au même titre les unes que les autres. Il n’y a virtuellement pas de différences.
Sauf qu’une de ces catégories de femme, les trans, sont oppressées car elles sont nées dans le mauvais corps. Notre société ne tolère pas bien les variations. Les femmes trans subissent donc une oppression. Et les femmes cis sont privilégiées d’être nées dans un corps de femme. On oublie donc le fait que les femmes sont oppressées en raison du sexe (raison pour laquelle les hommes trans sont oppressées au même titre que les femmes) et on part du principe que nous sommes oppressées parce que nous avons un genre féminin…
La conclusion est que les femelles sont la classe oppressante des mâles.
Cette confusion des sexes permet une confusion assez pratique des dynamiques de pouvoir. Il suffit de rajouter le préfixe -cis devant le mot « femme » est celle-ci entre dans une position de pouvoir, même face à un homme qui se prétends femme. Cette confusion est tellement grande que le genre est désormais vu comme le grand axe d’oppression des femmes ET le point le plus important du féminisme, à la place du sexe. Un homme trans est vu comme oppresseur des femmes trans alors même que les dynamiques de genre restent malgré la transition.
Les espaces protégés
Refuser d’inclure une femme trans dans un espace réservé aux femmes est exactement comme de refuser l’accès à une femme noire dans un espace pour les femmes, désormais : c’est oppressif. Les femmes trans ont droit à leur propres espaces, mais pas les femmes « cis ».
Il s’agit là d’un double standard. Les femmes trans et les femmes ne sont pas pareilles, sinon les femmes trans ne seraient pas la catégorie la plus oppressée. Mais les femmes ne peuvent pas se réunir seules pour parler de leurs propres problèmes sous peine d’être taxées de transphobes. C’est la double contrainte. Les femmes n’ont pas le choix lorsqu’on les qualifie de cisgenre, même lorsqu’elles refusent cette étiquette qui reflète un système auquel elles ne croient pas. Et dans le même temps, elles ne peuvent se réunir entre elles. Il n’y a donc aucun avantage à se définir cisgenre, que des désavantages.
Certaines femmes sont à l’aise avec cette situation. Parce qu’elles connaissent des femmes trans qui sont sympathiques, parce qu’elles ne veulent pas exclure de personnes marginalisées, parce qu’elles croient sincèrement que les femmes trans sont des femmes dans des corps d’hommes, ou parce qu’elles ne se sentent pas concernées. Elles ne voient pas de problème à être catégorisées « cisgenre », à partager leurs espaces avec des hommes, et à les reconnaître comme des femmes.
Mais même ces femmes ne peuvent consentir que pour elles-mêmes. La garantie d’un espace réservé aux femmes sous entend qu’il n’y aura bien évidemment pas de présence masculine, peu importe les raisons. Créer un tel espace et y introduire des hommes, c’est trahir les femmes qui ne sont pas d’accord pour partager leurs espaces protégés. On ne peut pas consentir à la présence masculine pour autrui.
Si les espaces protégés des femmes sont censés inclure des hommes, ils perdent leur utilité au nom de l’inclusivité. Les femmes (et les hommes trans) auront toujours besoins d’espaces pour échapper à la violence masculine et discuter des particularités d’être nées avec des corps féminins. Nous existons dans un monde matériel et notre interaction avec l’extérieur dépends de notre corps. Si l’on peut comprendre que les femmes trans ont des besoins particuliers liés au fait d’être mâle, il en est de même pour les femmes.
Conclusion
Le mot cis ne fais qu’apporter de la confusion en brouillant les dynamiques de pouvoir instaurées par les hommes pour dominer les femmes. Il sous entends que les femmes, en plus d’être complices de leur oppression, sont en fait d’accord avec le fait d’être oppressées.
Le concept selon lequel les femmes sont oppressées en raison de leur identité interne est purement misogyne. Personne ne peut s’identifier dans ou en dehors d’une oppression. Une jeune fille victime de mutilations génitales, de prostitution, de violences sexuelles ne pourra pas s’identifier hors de ces violences car elles sont basées sur le sexe.
Le terme « cis » a beau être utile pour parler des personnes qui ne sont pas trans, nous rejetons son utilisation. Le fait de simplement parler de femmes et d’hommes en opposition aux femmes trans et aux hommes trans suffit le plus souvent, et il est toujours possible de clarifier en précisant qu’on parle de femmes biologiques. Les femmes trans n’ont de femme que le nom.
Accepter que les femmes peuvent être cisgenre c’est nier tous les principes de base du féminisme, et accepter les hommes dans notre activisme c’est perdre de vue notre objectif : d’être un mouvement dédié à la libération des femmes.
Aucune femme (ni homme) n’est cisgenre.
[kofi]
CC BY-NC-SA 4.0